— Par Annique Sylvestre —
Je ne sais plus si on dit Sosso ou La sosso. Si je dis La Sosso je pense immédiatement à la Sosso do Domingo, chanson et à la danse liée à la période Dédé Saint-Prix. Alors que, pour moi il y a longtemps que Sonia a franchi ce cap, qu’elle est devenue La Sosso. La Sosso comme on dit La Callas, en rappel de ce personnage haut en couleurs dont la voix s’est confondue à la personne.
Lorsqu’on dit la Sosso, on pense aussi, bien sûr à « avanvan », aux soirées bèlè ou aux samedis gloria, mais prend-on vraiment la dimension de la personne, du travail, du chemin parcourus ?
Les soirées comme celles d’aujourd’hui sont là, pour rappeler les chemins, le chemin, le travail des femmes et des hommes dont le quotidien est fait de petites pierres, de petits ponts jetés dans la construction de ce pays. Si dans le monde des lettres nous retenons des Césaire, Glissant, autres personnalités qui ont fait notre littérature, dans l’univers de la danse, la Martinique retiendra sans nul doute le nom de Sonia Marc, dit La Sosso. Comme on retiendra celui d’une Josiane Antourel ou celui d’une Marlène Myrtil, ces artistes qui pour moi tracent des chemins, à la recherche de voies propres loin d’une offre permanente à la consommation. Comme si nous étions de ces ours qui dansent.
Sonia est de ces femmes-là en, maîtresse femme, qui œuvrent dans son domaine, à la construction de notre pays : je ne parle pas d’économie, de développement, puisqu’elle œuvre dans le domaine précis de la danse, de la connaissance et reconnaissance de nos corps, à la création de nos âmes au plus près de notre relation à notre histoire réelle.
Dans l’authenticité, la vérité, la générosité, la bienveillance même dans la spontanéité. Sonia, c’est la passion, la volonté, la témérité, l’audace, en même temps que l’abnégation et l’humilité! Une humilité qu’elle apprend vite aux côtés d’une Ciméline Rangon ou d’un Ti-Emile ou d’un Ousmane Seck.
Qui sait que Sonia, La Sosso, est partie à la quête de sa propre histoire, de notre histoire, a fait le déplacement vers les pays des ancêtres pour se confirmer sa vraie place, pour trouver, retrouver, s’approprier les rythmes, les pas, les sonorités premières ?
Qui sait que Sonia, à la recherche de plus d’authenticité, d’efficacité, s’est munie du diplôme de danse thérapie à la Sorbonne, pour se mettre à la disposition des martiniquais et transmettre cette danse qu’elle même dit, hybride, progressive mais toujours d’origine bèlè, dont elle aime les symboles, les rites. A cela, elle reste, dit-elle, connectée, utilisant ces rythmes, et rites, dans ce contexte contemporain en pensant à demain
C’est tout ça qui se cache dans les soubresauts de ses jambes, dans les circonvolutions de ses bras, et dans les envolées de ses jupes, dans les saccadés de ses pas.
Mais surtout, au fond d’elle, Sonia c’est tout ça: l’amour des siens, de son peuple, de ses racines, son ancrage dans son pays et ses traditions ; mais c’est aussi et surtout la conviction d’une histoire particulière, la nôtre, à découvrir encore, à connaître, à faire partager, à transmettre dans son domaine de prédilection, bien sûr.
A transmettre, non pas telle quelle, mais en faisant trace et faisant lien entre passé présent et futur.
Sonia danse une danse qu’elle seule a dans sa tête et dans son corps et dans son âme, danse qu’elle peaufine jour après jour; dérivée du bèlè mais progressive une danse qui ne se refuse aucun apport. Elle s’inspire de tout.
Mais Sonia, c’est aussi an nègrès ki paka fè lafèt . Qui a cherché, imposé son respect dans un environnement qui, au début, était un monde d’hommes.
Ki paka fè lafèt non pli puisque danser ne lui a pas suffi. Elle a entrepris de faire des recherches pour être plus authentique dans les scansions de ses rythmes, le phrasé de ses danses, dans les virvoltages de ses jupes, et les tournoiements de son corps et, dans les divers pays parcourus, chaque fois, les danses traditionnelles de ces pays ont retenu son attention.
Des rencontres avec les universitaires d’ici et d’ailleurs l’ont amenée à se rendre compte de l’importance du travail qu’elle mène, d’autant que finalement sa danse va s’inscrire dans quelque chose d’autrement plus complexe qu’une expression festive et légère. Au contraire, ces rencontres permettront les échanges entre peuples, qu’elle invite régulièrement, en même temps qu’elles diront la complexité d’une production somme toute immatérielle.
Pour Sonia, la tradition est ce qu’on ne peut nous enlever. Et elle persiste à dire : avec elle nous pouvons faire de grandes choses. Il faut simplement la développer et à partir d’elle, continuer de créer.
C’est ce qu’elle fait, encore et encore, pour notre plus grand bonheur.
Dans les occasions comme celle-ci, on a l’habitude de remercier pour rendre hommage. Alors en guise de remerciements, j’ai simplement envie de dire à Sonia l’amour que nous avons pour elle et le bonheur que nous avons de la côtoyer comme danseuse et aussi comme femme. Tu es dans nos cœurs, Sosso !
Anique SYLVESTRE