— Par Jean-Marie Nol, économiste —
Même sans en connaitre la définition, il y a fort à parier que peu d’entre nous connaissent ou apprécient la dystopie. Connue aussi sous le nom de contre-utopie, il s’agit d’un courant littéraire rencontrant aujourd’hui un succès fracassant. Elle vise à dépeindre, pour ce qui concerne notre sujet, une fiction d’une identité noire, où le bonheur semble impossible. Contraire d’une utopie, le récit de fiction dystopique vire systématiquement au cauchemar en annonçant un avenir sombre avec la montée du populisme et du racisme, ainsi que l’ombre menaçante de la révolution numérique et l’intelligence artificielle ou un monde futuriste sans espoir avec le changement climatique .
La Martinique et la Guadeloupe jouissent actuellement d’une société où l’immédiateté est la seule dynamique, il devient alors impossible de réfléchir sur les conséquences à moyen et long terme de nos actes ainsi que sur notre nouveau rapport au futur, qui ne fait que se rappeler à nous sous la forme d’innombrables menaces et non plus comme la promesse d’un avenir meilleur. La menace est en train de se poser aujourd’hui avec la crise économique du coronavirus et la fracture sociale pour les minorités raciales en France – le danger d’explosion sociale en plus.
La pandémie de coronavirus met à mal toute l’économie mondiale. Le moment est peut-être venu de tout changer au lieu de s’en inquiéter, car tous les grands agrégats de l’année 2020 donnent le tournis : la consommation, pilier de la croissance en France, se replierait de 10 %.
Après le plan d’urgence de plus de 110 milliards d’euros déjà débloqué depuis le début de la crise, auquel se sont ajoutés plus de 300 milliards d’euros de garanties de prêts pour les entreprises, le gouvernement a décidé dans cette deuxième phase de soutenir plusieurs secteurs particulièrement touchés par le confinement (automobile, tourisme, aéronautique…), ce qui représentera un nouvel effort de 40 milliards d’euros. Conséquence: le déficit public devrait se creuser à 11,4% du PIB et la dette publique s’envoler à 120,9% du PIB.
Le pays mettra des années à apurer ces excès. «Nous sommes de plus en plus endettés» car «nous avons dépensé beaucoup d’argent», mais «la situation est sous contrôle», a voulu rassurer Gérald Darmanin, ce jeudi, sur France 2, tout en admettant que «220 milliards d’euros de déficit de l’État (…), 50,2 milliards d’euros de trou de la Sécu, ce sont des chiffres qui peuvent donner le tournis. Mais le problème de la France ne se réduit pas à la catastrophe annoncée de la récession de l’économie. Le pouvoir central va également devoir faire face à une crise concomitante d’ordre sociale mais également identitaire sur le territoire français.
Le risque est bien pour les Martiniquais et Guadeloupéens de revendiquer une identification « raciale ».
Aujourd’hui, on passe subrepticement en Martinique et en Guadeloupe de la question sociale liée à la départementalisation à la question raciale.
C’est une logique poussée aujourd’hui à son terme : la politique de la race est ici mise à nu par les tenants du noirisme et du pan africanisme.
Le fait de mettre en avant en Martinique et en Guadeloupe, la dimension raciale des problèmes hérités de la période esclavagiste et ensuite coloniale ne conduit-il pas à occulter les facteurs socio-économiques de la crise à venir ?
Il n’y a pas de discours neutre, qui éviterait tous les écueils. Mais ne pas parler des choses n’est pas sans effet non plus. Manifestement, il n’a pas suffi de ne plus parler d’assimilation et d’intégration pour en finir avec le racisme. En fait, ce qui est sûr, c’est que
les inégalités sociales vont s’aggravées et se racialisées avec la crise économique et sociale du Covid 19.
Cette crise du Covid 19 va remettre en question nombre de nos modèles mentaux, ces croyances fondamentales par lesquelles nous appréhendons le monde. Cette remise en question crée un vide, qui est aussi un espace où plein de choses sur le plan sociologique peuvent se produire dans la décennie à venir tant en France hexagonale qu’aux Antilles françaises.
Mais, plus que le constat d’un déclin de l’utopie sociale révolutionnaire , c’est la critique, voire la haine, de l’utopie racialiste qui nous intéresse ici. La destruction des statues de schoelcher a montré combien l’argument du procès assimilationniste de nos aînés reste vivace dès lors qu’il s’agit d’élaborer une alternative à l’ordre établi. L’affaire Georges Floyd qui a suivi et qui a suscité beaucoup d’émotions aux Antilles, n’a fait que confirmer cette tendance. Auparavant simple moyen de contestation de l’ordre colonial établi , l’utopie racialiste acquiert une crédibilité nouvelle et la société binaire qu’elle promet est désormais appelée à se réaliser,selon les activistes, non plus dans un ailleurs lointain, mais ici et dans un futur plus ou moins proche.
Le contentieux est clair : parler de race aux Antilles, sinon de racisme d’état, enfreint le consensus antiraciste universaliste qui réunit depuis la fin de la décolonisation les groupes politiques de tous bords , les organisations syndicales et les intellectuels.
De façon paradoxale, c’est au moment même où l’utopie racialiste semble avoir le plus de chances de triompher que s’amorce le déclin de la pensée utopique républicaine aux Antilles.
Qui peut croire encore que notre société soit organisée sur ce critère républicain d’égalité , ou en tout cas sur ce seul critère ? Certes, c’est ce qu’on nous raconte : la République universaliste qui ne prend en compte aucune propriété particulière (sexe, origine, couleur de peau, religion, etc.). Mais qui peut le croire ? C’est donc que les personnalités politiques minoritaires se sentent piégées. Ce que démontrent leurs protestations contre les discriminations , ainsi que le désir de liberté vis à vis de Paris, c’est que cette rhétorique républicaine continue de s’imposer dans notre société… alors même que nous savons qu’il s’agit d’une mythologie !
Cette audience inédite de la théorie racialiste auprès des populations de Guadeloupe et Martinique , conjuguée à l’effacement de la différence entre dystopie et science-fiction, fait que le genre dystopique règne aujourd’hui sans partage sur le paysage culturel Antillais alors que l’utopie révolutionnaire est réduite à sa forme techno-scientifique .
Sans s’attarder sur le paradoxe, les critiques de certains humanistes n’ont de cesse de dépeindre l’utopie racialiste comme une créature double, à la fois monstre et chimère . Après les expériences coloniales du XXème siècle, l’utopie de la théorie raciale du XXIe siècle ne serait que la matrice d’une politique mortifère, toute tentative utopique se concluant nécessairement par une catastrophe. Aujourd’hui, la question raciale vient apporter un démenti aux discours qui se réclament de l’universalisme républicain ; mais elle ne permet plus davantage de représenter la société Antillaise exclusivement en termes de classes. À l’ombre des actes de vandalisme des statues de schoelcher , c’est la représentation d’une défiance envers une France racialisée qui depuis s’est imposée dans le débat public. On n’ignorait pas le racisme en France ; on découvre combien les discriminations raciales, dans l’emploi, le logement et à l’école, face à la police et à la justice, structurent des inégalités sociales. En retour, se font jour des processus complexes d’identifications des Antillais ainsi que des tensions dans le langage politique de la race, naguère encore interdit de cité : Ainsi l’émergence d’une « question raciale » – et plus seulement « raciste » – ou « immigrée », qui croise la « question sociale » sans s’y réduire, interroge désormais l’ensemble des paradigmes qui sous-tendent les représentations de la société française et notamment aux Antilles où la radicalité s’impose dans le paysage politique.
Cette radicalité se nourrit de ressentiments , sans projection vers l’avenir, et c’est là le plus grand danger qui nous guette à terme.
La question sociale a été réglée qu’on le veuille ou non par la départementalisation. L’idéologie révolutionnaire de la décolonisation n’a plus d’audience aux Antilles, alors demeure comme substitut la question raciale, dans la mesure où la nature humaine a horreur du vide. A l’avenir, il serait intéressant de voir comment la France va régler ce problème épineux dans les années de crise qui attendent tous les Français y compris les Antillais ?…
Èvè pasyans ou ka vwè lonbrik a pis.
(Avec de la patience on voit le nombril d’une puce)
Il faut savoir être patient
Jean-Marie Nol économiste