— Par Nadège Dubessay —
Ils sont grands patrons, financiers, hommes politiques, propriétaires de journaux, professeurs en médecine, gens de lettres… Tous ont ce point commun : ils sont riches. Puissants, ils savent se mobiliser dès qu’il s’agit de défendre leurs intérêts. En témoigne l’attitude de certains riverains du 16e arrondissement de Paris férocement opposés à l’implantation d’un centre d’hébergement pour sans-abri. L’entre-soi se cultive, dans tous les domaines. La guerre des classes existe. Ils sont prêts à tout pour la remporter.
Une foule déchaînée qui montre les crocs, éructe un déluge de propos orduriers. La scène se passe à l’université Paris-Dauphine. Le 14 mars dernier, la réunion publique de présentation du futur centre d’hébergement, en l isière du b oi s de Boulogne, dans le très chic 16e arrondissement de Paris, tourne à la foire d’empoigne. « Salope ! » lance un homme cravaté à Sophie Brocas, la sous-préfète de Paris. « Escroc », « fils de pute », « stalinien », et même… « caca » ! La liste des insultes est longue. Il faut dire qu’une grande menace pèse sur ce quartier où 20 % des contribuables payent l’impôt sur la fortune et possèdent un patrimoine moyen de presque 3 millions d’euros.
La municipalité veut y ériger, cet été, des bâtiments modulaires afin d’accueillir 200 personnes, sans-abri ou familles aux difficultés sociales importantes. Alors la mobilisation tous azimuts s’organise. Les associations de protection du bois de Boulogne montent au créneau, à coups de procédures judiciaires, soutenues par le maire de secteur Claude Goasguen (« Les Républicains »). Peu importe si, ici, on ne compte qu’une vingtaine de places d’accueil.
Des seigneurs en leur domaine
En ce vendredi ensoleillé, la terrasse d’une brasserie porte d’Auteuil, dans le 16e arrondissement, est prise d’assaut. Une bande de lycéens sirote bières et jus de fruits. « Le centre d’hébergement ? » Oui, bien sûr qu’ils savent, on ne parle que de ça, ici. Ilyes, élève de seconde au lycée Molière, ne s’oppose pas à son arrivée et déplore « la mauvaise image que ces riverains ont donnée du 16e ». Pourtant, il comprend leurs craintes. « Il faut être clair, quand on vient habiter ici, c’est pour rester entre soi. »
Rayan enchaîne : « Un peu plus de mixité, ça peut apporter du bon. Mais le risque, c’est la tentation de voler, face à des gens riches, bien habillés. » Inès hausse les épaules : « C’est beaucoup de bruit pour pas grand-chose. Vous verrez, il ne se passera rien ! » Aux abords du bois de Boulogne, tout défile lorsque l’épineux sujet est abordé. La fausse condescendance : « Mais où iront-ils faire leurs courses ? » fait semblant de s’interroger cette vieille femme. La pseudo-défense de l’environnement : « Le bois de Boulogne est un site classé, non constructible ! » assène un couple de retraités.
La sacro-sainte démocratie : « Les habitants n’ont pas été consultés ! » s’offusque cet homme. Les intérêts personnels : « Si nous payons très cher pour venir ici, c’est pour être tranquilles ! » tempête un joggeur qui craint ne plus pouvoir faire son footing dans le coin. La victimisation : « La Mairie de Paris veut punir les habitants du 16 e ! » estime ce jeune homme costume-cravate-attachécase. Et les arguments carrément racistes, en toute bonne conscience : « Ça va être la zone, la jungle… dégoûtant ! » grimace une femme très comme il faut, qui renchérit : « On n’a pas l’habitude d’avoir ce genre de personnes ici. » Ian Brossat, adjoint à la Mairie de Paris (PCF) en charge du logement, connaît bien l’hostilité de certains riverains à chaque tentative de mixité sociale. « Nous sommes confrontés à une opposition systématique depuis très longtemps dès l’annonce d’un programme de logements sociaux », constate-t-il. Alors, un centre d’hébergement ! Bien qu’habitué, il avoue que la violence et la vulgarité dont il a été victime ce 14 mars dépassaient toutes les prévisions. « Certains considèrent que la Mairie de Paris, les représentants de l’État ne sont pas légitimes. Ils vivent l’espace public comme leur propre espace privé. »
Repères.
0,01 % La part des Français les plus aisés gagnant plus de 80 000 euros net mensuels.
81 % À l’Assemblée nationale, les cadres, professions libérales et les patrons sont représentés à plus de 81 %, alors qu’ils forment 13 % de la population active.
1/10e Près d’un dixième des richesses est capté par 1/100 000e de la population.
6 % Entre 2013 et 2014, le nombre d’assujettis à l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) est passé de 312 406 à 331 010, soit une progression de 6 %.
476,28 milliards La valeur totale des patrimoines déclarés s’élevait à 476,28 milliards d’euros en 2014.
714 Le nombre de départs de France de redevables de l’ISF s’élevait à 714 en 2013, soit 0,2 % des contribuables assujettis à l’ISF.
N’empêche, le centre ouvrira bien ses portes, cet été : le permis de construire a été accordé par l’État…
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