— Par Selim Lander —
Ribote », en français de France : joyeux excès de table et de boisson. Dans la campagne martiniquaise d’antan, pendant la période de l’Avent, on passait de maison en maison pour chanter les cantiques de Noël et l’on était reçu avec du schrub ou du punch coco plus des gâteaux pour les enfants : c’était la « ribotte » (avec un ou deux t). Sous ce terme heureusement repris par Tropiques-Atrium, on désigne ici une série de spectacles au mois de décembre à destination des enfants. Deux pièces de théâtre « jeune public » étaient au programme.
Mon grand-père ce robot
Sur un texte de Sabine Revillet m.e.s. par Jérôme Wacquiez, avec François Raffenaud dans les rôles titre du grand-père et du robot se déroule une belle pièce pour adolescents qui agite plusieurs sujets, depuis la perte d’un être cher jusqu’au futur proche où nous serons confrontés à des robots intelligents et douées d’affectivité, en passant par les rapports à l’intérieur d’une famille (parents-enfants, parents-parents, enfants-enfants), la place de l’animal domestique et celle des réseaux sociaux. En l’occurrence, c’est la maman qui est accro à facebook et le fils ne manque pas de lui faire remarquer que se répandre sur « face-de-bouc » est désormais ringard aux yeux des générations plus jeunes.
Jacques, le grand-père d’Angie, est mort. Celle-ci refuse de l’admettre ; elle veut croire qu’il s’est réincarné dans quelque animal, par exemple dans ce chat errant qu’elle fera accepter par toute la famille (moins par le papa). Quant à la mère, après avoir compté les « likes » en réponse à ses messages évoquant le grand-père, elle a l’idée, pour calmer le chagrin de sa fille, de commander un robot androïde à l’image du grand-père. On devine la suite : des ratés et des déceptions. Et celle qu’on ne devine pas : une sorte de miracle qui rend brièvement la parole au vrai grand-père, à la fin.
Cette pièce qui connaît quelques baisses de rythme qui ne servent en réalité qu’à nous préparer à la suite et qui s’adresse avant tout aux adolescents touchera tous les publics. Les comédiens savent danser quand il faut, les accessoires ne sont pas là pour rien, et pas seulement les gâteaux confectionnés devant nous. Les nombreux changements de costume, le faux lustre, une installation plutôt, de grande fleurs artificielles, fournira au chat des boules pour jouer, de même que les rubans de papier qui agrémentent la caisse contenant le robot, etc. Faut-il préciser que ce chat est un point fort de la pièce ? Ondulant, bondissant, caressant, ronronnant, il a tout pour ravir les petits comme les grands.
A partir d’un sujet grave, comment faire son deuil, Mon grand-père ce robot soulève d’autres questions évoquées plus haut dont la moindre n’est pas celle qui ne tardera pas à se poser : quelle attitude adopterons-nous quand il sera effectivement possible (les prototypes existent déjà) de faire « revivre » un être cher en chargeant dans le logiciel d’un humanoïde ressemblant tout ce que l’on aura pu conserver de sa mémoire, sa voix, etc. ?
Par la compagnie des Luciolles (Compiègne). Festival d’Avignon 2023, Théâtre 11. Fort-de-France : 15 décembre 2023.
Mon grand-père ce robot avec Kainana Ramadani (la fille), Judy Passy (le fils), Charlotte Baglan (la mère), Robert Georges (le père), François Raffenaud (le grand-père), Lucien Morineau (le chat).
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D’après les frères Grimm, une adaptation pour une comédienne et un comédien par le collectif « das Plateau » (sic) présentée au festival d’Avignon en 2022. Das Plateau est réputé pour ses créations qui sortent de l’ordinaire. Cette pièce en apporte la confirmation. C’est à la fois un magnifique spectacle visuel et une adaptation prenante, y compris pour de très jeunes enfants qui se tiennent à carreau pendant tout le spectacle, avalant tout, même les longueurs (par exemple une énumération des fleurs de la forêt qui n’en finit pas) sans broncher. Il faut dire que le musique d’orgue qui accompagne une grande partie de la pièce impose sa présence.
Ce qu’il faut dire surtout, c’est que, au-delà de son incontestable réussite formelle, cette adaptation est remarquable sur le plan… pédagogique. Eh oui, le théâtre peut être pédagogique sans être pesant. On connaît la leçon sous-jacente du conte : petites ou jeunes filles, méfiez-vous des grands méchants loups et sachez qu’ils prennent plus souvent la figure d’un humain que celle d’un animal ! Si le conte est restitué tel que voulu par les frères Grimm : il y a bien un loup, soit un comédien affublé d’une dépouille de loup, le message de prudence passe néanmoins clairement. Le dernier tableau vient d’ailleurs détruire le happy end du conte. C’est la comédienne qui a revêtu alors la dépouille du loup. Elle s’approche de la poupée grandeur nature qui représente le Chaperon rouge, elle se fait caressante, elle embrasse la poupée sur le front et l’enveloppe dans la peau du loup. Cette ultime scène est muette mais le sens paraît clair : la petite fille peut être mangé et personne ne viendra la sauver.
Cette adaptation est aussi un spectacle qui joue avec les outils d’aujourd’hui. Les paysages projetés sur le plateau sont réfléchis par un système de miroir sur des écrans en fond de scène. Les personnages passent devant ou derrière les écrans. Sur la photo, on voit la comédienne alors dans le rôle de la mère qui fait ses recommandations à la petite fille avant qu’elle se mette en route. On reverra cette image à la fin mais la comédienne sera alors déguisée en loup comme indiqué plus haut. La photo est ici celle de la maison du Chaperon rouge. Pour la maison de la grand-mère, on verra une photo d’intérieur et l’on apportera son lit (un vrai lit Louis Philippe) sur le plateau. D’autres images montrent la forêt sous divers aspects mais le tableau le plus spectaculaire se situe au tout début : un vaste rideau rouge est projeté sur le plateau et donc aussi sur le fond de scène. La comédienne assise par terre est occupée à ravauder un vêtement, une cape brune, et on la voit donc simultanément à 90 degrés sur l’écran rouge, ce qui donne un instant l’illusion qu’il y aurait un deuxième personnage se tenant dans cette position impossible grâce à une astuce miraculeuse.
Question pour finir : Est-ce pour ne pas surprendre le jeune public au cas, pourtant improbable, où il ne connaîtrait pas le conte ? La formule quasi-magique qui permet d’ouvrir la maison de la grand-mère – « tire la chevillette et la bobinette cherra » – est en effet supprimée, la serrure remplacée par un simple loquet. Plus surprenante encore la disparition du dernier terme dans la série des étonnements du Chaperon rouge devant le loup déguisé en grand-mère. « Que vous avez de grande dents » devient « Grand-mère (et non mère-grand), que vous avez une grande bouche ».
Par la compagnie das Plateau (Île-de-France). Festival d’Avignon 2022, Chapelle des Pénitients blancs. Fort-de-France : 20-22 décembre 2023.
Le Petit Chaperon rouge, texte de Jacob et Wilhelm Grimm, traduction de Natacha Rimasson-Fertin, Editions Corti avec des fragments de Futur, ancien, fugitif de Olivier Cadiot, Editions POL
Mise en scène Céleste Germe, avec Antoine Oppenheim et Maëlys Ricordeau et en alternance Pablo Jupin et Lalou Wisocka. Collaboratrice artistique Maëlys Ricordeau, composition musicale et direction du travail sonore Jacob Stambach, scénographie James Brandily, création vidéo Flavie Trichet-Lespagnol, dispositif son et vidéo Jérôme Tuncer, création lumière Sébastien Lefèvre, costumes Sabine Schlemmer.
La Ribotte des petits, Tropiques-Atrium, Fort-de-France, décembre 2023.