Ils sont quinze, sept dames ou demoiselles et cinq messieurs, disons plutôt sept comédiennes et cinq comédiens, quinze qui étrennent la salle de théâtre toute neuve du lycée Schoelcher, opération immobilière grandiose dont on peut contester l’utilité alors que le nombre des lycéens diminue en Martinique et sachant que, lors des travaux de la reconstruction du lycée, les élèves et leurs professeurs ont été recasés sans difficulté à proximité. Mais cela est une autre affaire, qui n’est pas notre affaire. Tous les amateurs de théâtre ne peuvent que se réjouir que cette salle existe, ceux en particulier qui ont fréquenté à un titre ou à une autre l’ancien théâtre du lycée avant que ce dernier ne soit détruit et reconstruit pour des raisons que la raison ignore peut-être, mais cela, encore une fois, n’est pas notre affaire. Dans l’ancien théâtre, devenu quelque peu vétuste faute d’entretien, des générations de lycéens se sont frottés à la comédie et certains y ont attrapé le virus de la scène au point de devenir des comédiens professionnels. Le signataire de ces lignes – lointain souvenir – y a même fait ses premières armes en tant que comédien amateur dans une troupe constituée par des professeurs (pas tous du lycée) sous la direction éclairée – et oui ! – de Guillaume Malasné, le même qui met en scène la pièce dont il est question ici.
Foin de la nostalgie, aujourd’hui est un autre jour et le théâtre du lycée est installé dans ses nouveaux murs, la scène est vaste, les fauteuils sont confortables (de quoi faire périr de honte l’Atrium, Scène nationale), il y a même des sièges que l’on peut éventuellement utiliser au fond du plateau en forme de rotonde, les loges sont quasi luxueuses : les nouvelles générations de lycéens en auront pour l’argent du contribuable. On espère que ce magnifique équipement sera pleinement utilisé et qu’il pourra accueillir, en soirée, des spectacles de troupes extérieures au lycée, comme c’est ici le cas.
Pour l’heure, ce ne sont pas en effet des lycéens qui ont investi les lieux mais d’autres élèves, de la compagnie L’Autre Bord de Guillaume Malasné qui dirige une classe d’adultes avec lesquels il crée une pièce chaque année. G. Malasné est un metteur en scène rigoureux et inventif. Il le démontre à nouveau avec La Réunification des deux Corées de Joël Pommerat. Qui n’est pas un coup d’essai (il l’avait déjà montée en 2016) mais un nouveau coup de maître.
Certes, la pièce est magnifiquement écrite et elle se prête particulièrement à une troupe d’amateurs puisque elle est divisée en tableaux présentant des situations et des personnages différents, ce qui permet de ne pas travailler avec tous les comédiens en même temps, sauf pour les mouvements d’ensemble laissés à la discrétion du metteur en scène. Il y en a, ici, qui servent d’interludes et jouent avec les panneaux qui occultent partiellement le fond de scène.
Au-delà de ces mouvements d’ensemble dont on admire avec quelle maîtrise ils sont réglés, et même si l’on connaît la pièce, on est constamment captivé par ce qui se déroule sur le plateau. Cela commence très fort avec deux scènes mémorables. Dans la première, une femme répond à une voix off qui l’interroge, sans doute celle d’une avocate. La femme veut divorcer, ce n’est pas qu’elle n’aime pas son mari mais maintenant que les enfants sont grands, elle a envie d’autre chose que la vie avec lui, sans savoir vraiment pourquoi. Sans avoir l’air d’y toucher, la comédienne sait nous émouvoir. Dans la seconde, un surveillant d’internat est accusé par les parents d’un collégien d’avoir un « comportement répréhensible » à l’égard de leur fils. Le surveillant est remarquable dans sa manière de faire face aux parents, jusqu’à retourner la situation en sa faveur. Quoique… : si le spectateur n’en est pas tout à fait sûr, c’est ce qu’il a envie de croire, tant le surveillant s’est montré convaincant. Le reste n’est pas toujours du même niveau, sans nous lasser pour autant. Se détache néanmoins – on pourrait en citer d’autres – la scène qui montre des parents retour d’une soirée, face à la gardienne d’enfant qu’ils ont embauchée pour la circonstance. Seul problème : des enfants il n’y en a pas ! Cette scène marque autant par l’engagement des trois comédiens que par la situation à la fois cocasse et tragique.
Un mot encore pour la musique qui privilégie la mélodie, loin du fracas que l’on entend si souvent, désormais, au théâtre, en signalant quand même que les comédiens ont parfois du mal à faire passer leurs premières répliques sur les dernières mesures de la musique.
Les lumières ne sont pas encore installées dans le théâtre. En attendant que cette lacune soit comblée, Viviane Vermignon a installé quelque projecteurs led dans les cintres et a confié deux projecteurs mobiles à des comédiens en attente de leur tour, ce qui permet, en tant que de besoin, de focaliser la lumière sur des comédiens dans l’action.
On souhaite longue vie à L’Autre bord, en attendant avec impatience son prochain spectacle, professionnel ou amateur.