La République dominicaine a annoncé la construction d’une clôture frontalière pour réduire l’immigration illégale en provenance de son voisin Haïti, un projet controversé dont l’efficacité soulève des doutes s’il n’est pas accompagné de plans de développement, soulignent plusieurs experts.
« D’ici à deux ans nous voulons mettre un terme aux graves problèmes d’immigration illégale, de trafic de drogue et de transit de véhicules volés que nous connaissons depuis des années », a déclaré le président Luis Abinader, élu en juillet 2020, annonçant samedi le lancement au deuxième semestre des travaux de construction d’une clôture frontalière de 380 kilomètres.
Une société israélienne spécialisée dans l’armement, Rafael Advanced Defence Systems, est en train de concevoir un projet pilote. Celui-ci devrait comprendre « une double clôture dans les parties les plus sensibles et une clôture simple pour le reste, en plus de détecteurs de mouvement, de caméras de reconnaissance faciale et de systèmes radar et infrarouge », a ajouté le chef de l’État sans en dévoiler le coût.
Quatre points de passage officiels séparent les deux pays qui se partagent l’île d’Hispaniola, dont 64% du territoire sont occupés par la République dominicaine (10 millions d’habitants), à l’ouest, et le reste par Haïti (11 millions d’habitants).
Les relations entre les deux pays sont historiquement difficiles et chaque nouveau gouvernement dominicain fait de la question sensible de la migration une priorité.
Environ 500 000 Haïtiens vivent illégalement de l’autre côté de la frontière et des militaires domingois patrouillent dans les zones de passage d’immigration clandestine et de contrebande.
Ce projet de « mur » fait suite à un accord conclu le 14 janvier entre Luis Abinader et son homologue haïtien, Jovenel Moise, pour réduire « le flux migratoire irrégulier » et « renforcer la sécurité et la surveillance aux frontières ».
Mais Juan Del Rosario, professeur à l’Université autonome de Saint-Domingue, estime que « ce mur n’a aucune raison d’exister » car « tant que l’extrême pauvreté et l’instabilité politique persisteront en Haïti, il y aura une pression migratoire ».
« Vous pouvez construire un mur de 100 mètres de haut les gens chercheront toujours des moyens de passer », explique le chercheur à l’AFP, en citant le mur voulu par l’ex-président Donald Trump entre les États-Unis et le Mexique.
« Avec pourtant plus de moyens financiers et technologiques, cela s’est avéré impossible » à réaliser, note-t-il.
« Dépenses inutiles »
Bien qu’il ne fasse pas l’unanimité, ce projet de frontière physique est bien accueilli dans les rues de Saint-Domingue.
« Il y a des Haïtiens partout, on ne peut même pas prendre rendez-vous chez le médecin car c’est plein d’Haïtiens. Donc pour moi le mur est une bonne idée », affirme à l’AFP Lucia, étudiante de 23 ans, qui n’a pas souhaité donner son nom de famille.
« Cela réduira les problèmes », renchérit Antonio Mejia, 62 ans, sans emploi. « Ça permettrait de contrôler la migration d’un pays à l’autre ».
William Charpentier, coordinateur du Bureau national dominicain pour les migrations et les réfugiés, regrette qu’à chaque fois, l’idée d’ériger un mur frontalier exacerbe « xénophobie et racisme ».
Il pointe les expulsions massives de clandestins et les obstacles que rencontrent les migrants légaux pour renouveler leurs papiers ou louer une habitation : « c’est de la persécution permanente », se désole-t-il.
Les experts soulignent aussi les nombreux échanges commerciaux aux frontières.
« Contrairement à ce que l’on pourrait penser, du côté haïtien il y a l’argent et du côté dominicain le produit », explique le professeur Juan Del Rosario.
« Il y a un échange informel constant qui ne peut être considéré comme de la contrebande (…). S’il est bloqué, cela va entraîner des flux migratoires internes » des villes frontalières vers les zones urbaines, prévient-il.
En outre, des secteurs comme l’agriculture et la construction ont besoin de main-d’œuvre étrangère, explique Josué Gastelbondo, chef de la mission de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) à Saint-Domingue.
« Des mesures telles que le renforcement des contrôles aux frontières devraient idéalement être complétées par des mesures visant à promouvoir une migration régulière et ordonnée », souligne-t-il.
Pour William Charpentier, construire cette longue séparation représente « des dépenses inutiles ». Selon lui, il serait plus opportun de « multiplier les projets de développement » dans la zone frontalière qui profiteraient tant aux Dominicains qu’aux Haïtiens.
Source : AFP / Le Journal de Montréal