— Par Victor Lina, psychologue clinicien —
« Quelques mots écrits pour dire psy »
La violence des sentiments, peut faire parfois, ou fait souvent, au gré de nos appréciations, l’objet d’un égal sentiment. La boucle infernale émeut peu, si peu, qu’elle demeure alors imperceptible.
La première opposition, identifiée au cœur du souffle humain comme trait de différence le plus originaire, le plus précoce ; n’est-elle pas issue de la rencontre avec l’Autre ? Faire émerger des lois communes sous-jacentes au fonctionnement psychique est un idéal qui doit cependant s’accommoder de l’éphémère.
Il nous appartient d’en reconsidérer certains fondements pour y découvrir des traits de pertinence, d’une pertinence qui résiste au rabotage du temps pour se révéler à notre entendement comme étant toujours actuelle.
Piera AULAGNIER, psychanalyste et psychiatre, il y a quarante ans, décrivait la violence du discours sur la psyché. Il s’agit d’un moment de violence, sinon première, qu’elle a nommé violence primaire. Cette violence s’expérimente à l’occasion de ce que l’auteur appelle la rencontre inaugurale.
Cette rencontre inaugurale est double, c’est la rencontre entre le soi et le monde, mais c’est une rencontre marquée par son incomplétude : incomplétude de la séparation, incomplétude de la rencontre elle-même puisque le soi indifférencié ne s’appréhende que comme reflet de ce monde ; monde dont l’autre maternel, occupe le champ, prioritairement.
Cette rencontre avec une image qui peut être rêvée ou hallucinée nous introduit au cœur de ce que l’on peut appréhender comme violence, entendue donc comme violence primaire. La rencontre est en somme toujours une rencontre ratée. Elle correspond à ce dont on peut faire l’expérience dans la vie de tous les jours : quand on doit cruellement faire avec l’instant juste après qui oblige à attendre le bus d’après, après celui que l’on vient de rater quand ce n’est pas le dernier de la journée qui vient de partir.
Cette violence de la rencontre a pour carburant l’amour et pour étincelle le désir. Elle viendrait de l’écart qui repose sur l’anticipation. Un écart qui repose sur un savoir qui précède et qui crée, voire qui impose : « Tu as soif ? Voilà, tiens…bois !!! » Ainsi s’amorce le premier cycle du pharmakon.
Remarquons tout de même que l’avoir s’accorde au voir dans « gadé » au voisinage de « tchembé »
AULAGNIER écrit : « nous appelons violence primaire, l’action psychique par laquelle on impose à la psyché d’un autre un choix, une pensée ou une action qui sont motivés par le désir de celui qui l‘impose mais qui s’étayent sur un objet qui répond pour l’autre à la catégorie du nécessaire. »
La représentation de la rencontre est à la fois source de plaisir et source de déplaisir. A cette étape le tout unifié découlant de l’hallucination d’un monde complément est virtuellement brisé par le redoublement et le retournement persécutif de l’image.
Cette hypothèse n’éclaire pas nécessairement toutes les questions que l’on se pose au sujet de la violence notamment celle qui se déploie au sein du corps social. Elle a cependant l’avantage de mettre en contiguïté la violence, l’image, l’amour, la haine, leur concours à une forme précoce d’accès au savoir, pas sans risque.
Ce à quoi, on serait tenté d’ajouter la perte qui diffère de l’éprouvé d’un état de manque que l’auteur met en exergue comme condition du désir. Notamment, le désir de statu quo, désir que rien ne change.
Il y a pour AULAGNIER une nécessité de conserver une conception économique et une allégorie physiologique. Il est question d’une énergie à l’œuvre et d’une métabolisation qui opère en contribuant à l’homogénéisation des éléments.
Néanmoins, retenons qu’elle souligne que la haine est partie intégrante des visées du désir. Dans un premier temps le deux est nié, l’enfant et le sein sont solidaires. Mu par la nécessité d’apporter un démenti égal à la violence du besoin, l’enfant, de façon hallucinatoire, aura auto-engendré le sein et se sera auto-satisfait. C’est ce qu’elle appelle la représentation narcissique du soi-monde avec son pendant, la représentation narcissique du soi-néant.
Le statut de l’image ici est de maintenir malgré l’expérience du manque, l’accès à l’expérience d’une illusion de satisfaction même au prix du pire, c’est-à-dire de la néantisation de soi ou du monde.
Dans quelle mesure cette formalisation métapsychologique peut-elle servir de point d’appui ou d’ouverture pour envisager les questions prégnantes qui surgissent de façon si tonitruante ?
Peut-on s’appliquer à considérer la complexité avec humilité et s’armer de la patiente ténacité nécessaire pour proposer des élaborations qui ne pourront être le fruit que d’intelligences pour le moins complémentaires et au mieux solidaires ?
Victor LINA
* Le titre est de Madinin’Art