La réception de l’exposition d’art comtemporain : hypothèses de collection
— Par Jacqueline Eidelman —
«Certains s’en sont moqués: l’art contemporain demande l’accompagnement d’un discours. […] Si les excès de promotion, d’interprétation et de surinterprétation, si les manipulations langagières pour impressionner le non-initié sont effectivement ridicules, il n’en reste pas moins qu’il n’y a pas d’oeil innocent, pas de regard qui ne doive être structuré par des paradigmes de représentation. Il ne saurait donc être question de revenir au pur langage des formes et des objets – pour la bonne raison qu’il n’existe pas».
Yves Michaud, L’Art contemporain, Le dossier, La documentation française, Documentation photographique, n° 8004, août 1998.
Le public des musées et expositions n’est pas un tout homogène, passif et muet. Différentes catégories de visiteurs le composent, des novices aux experts, qui commentent, échangent et interagissent. Intérêt des oeuvres (de quelque nature qu’elles soient: artistiques, scientifiques, techniques…) mais également contribution des aides à la visite sont passés au crible de toutes leurs expériences de visite antérieures qu’elles soient réussies ou ratées: les jugements critiques qu’ils formulent sont fondés sur des points de vue informés ; leur répertoire de compétences mais également leurs univers de référence sont étendus, divers, composites. Ces généralités valent également pour une exposition d’Art contemporain telle Hypothèses de collection, présentée par le FRAC-PACA au Musée du Luxembourg à Paris d’avril à mai 1999- Les études quantitative et qualitative que nous y avons réalisées(1) les rendent concrètes: ici, le public est composé de cinq classes des visiteurs que l’on peut différencier selon leur capital de familiarité avec l’art contemporain et sa muséologie; il est possible de mettre en évidence leurs usages et leurs catégories d’évaluation d’une offre variée de dispositifs de médiation, les modes et les logiques d’appréhension des oeuvres, les formes d’interprétation et d’appropriation du propos muséal, le répertoire de la critique et ses modalités d’exercice. L’ensemble contribue à l’affermissement d’une sociologie de la réception des oeuvres élargie aux caractéristiques de l’espace public et intégrant la dimension de la médiation.
La réception : une problématique plutôt qu’une théorie
S’agissant de la fréquentation des musées, la sociologie des pratiques culturelles procède avant tout à une sociographie et une géographie des usages. Parce qu’il s’agit principalement d’études quantitatives (Donnât, 1990, 1998), mais aussi parce que la reproduction sociale demeure leur seul cadre explicatif, les données recueillies peuvent sembler ne délivrer qu’une information partielle et peu sensible aux bouleversements récents qui ont touché le monde des musées. Ainsi les effets d’une offre muséale diversifiée et délocalisée sont minorés autant pour ce qui concerne la constitution d’un capital de familiarité(2) «indigène» (Passeron, 1982) que pour ce qui relève de la formation d’espaces de préférences thématiques (O. Bouquillard, 1998) interconnectant des domaines patrimoniaux auparavant clivés. Sont sous-estimées également les nouvelles formes de socialisation engendrées par la modification des conditions et des circonstances de la visite3. Enfin, est laissée vierge l’étude du contenu des pratiques de fréquentation et notamment les compétences qu’elles mettent en oeuvre. La compréhension sociologique de l’acte de visite d’un musée ou d’une exposition demande tout à la fois une approche plus qualitative (des travaux empiriques sont du reste régulièrement menés dont la revue Publics et Musées se fait régulièrement l’écho) et un nouveau cadre interprétatif.
Ce cadre nous pouvons d’abord le dessiner en articulant trois approches. Une première épure nous est livrée par la sociologie de la réception des oeuvres de Passeron (1991, 2000). Se détournant d’interprétations à caractère générique, il met en avant les trois principes susceptibles de «désanonymiser» et les oeuvres et leurs «regardeurs» : la perceptibilité, la spécificité, la singularité(4). Si cette sociologie explicative fait le lien entre les descripteurs du regard et les variations sociales – l’attention du sociologue se porte sur les interactions entre l’oeuvre et ses récepteurs pour dégager l’ensemble des interprétations, en découvrir les règles mais également les indexer à quelques variables sociales et comportementales(5) -, elle laisse cependant de côté aussi bien les formes de socialisation du rapport aux oeuvres que les spécificités de l’espace muséal en tant qu’espace public (Habermas, 1978 et 1992). La sociologie de la communication et des médias nous ouvre une perspective complémentaire lorsqu’elle mobilise le paradigme d’un «programme fort» et d’un «récepteur fort» : avec un public-regardeur doté de compétences, la relation à l’oeuvre s’inscrit dans un système de transaction réflexive entre des codes culturels et dans une logique de la sociabilité propice à l’étude de «communautés d’interprétation» et de «diversité de styles de lecture» (Bruhn Jensen et Rosengren, 1993; D. Cardon, J.-P. Heurtin, O. Martin, A.-S. Pharbot, S. Rozier, 1999). La sociologie des liens sociaux nous permet de rassembler les deux approches lorsque nous convenons avec elle que les formes de l’action réciproque ont pour dynamique la socialisation elle-même (Deroche-Gurcel, dans sa Préface à Sociologie de Simmel, 1999)….
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20° colloque du CEREAP
en lien avec le CRILLASH
qui se tiendra à l’ESPE de Martinique (ex. IUFM, Route du phare, FdF)
sur le thème « La réception de l’art »
le week-end des 28 et 29 novembre (entrée gratuite).
Le programme