Que dire d’un spectacle qui ne nous était manifestement pas destiné sinon que ses évidentes qualités n’ont pas suffi à soulever notre enthousiasme.
Commençons donc par les qualités qui ont dû frapper tous les spectateurs, celle de la mise en scène, tout d’abord, assurée par l’auteure, qui traite toute la pièce sur un mode music hall, en mettant en vedette successivement différents personnages, avec un soin tout particulier apporté aux costumes, dont certains à paillettes et une coiffe en plumes, au décor transformable fait de quelques caisses en bois, au découpage nerveux. Notons enfin le jeu de deux comédiennes (sur trois) captivantes quoique sur des registres très différents : exubérant pour l’une, remarquable danseuse au demeurant, plutôt comique pour l’autre.
Ce qui ne nous a pas du tout séduit mais qui a pu plaire à d’autres. La présence sur la scène de deux musiciennes (batterie et basse) qui jouent pendant la plus grande partie de la pièce une musique 1) lancinante et 2) suffisamment forte pour imposer aux comédiennes l’usage honni du micro (comme nos lecteurs le savent déjà). Ceci écrit, nous sommes bien conscient que toute une « jeunesse » nourrie à une telle musique qui n’a d’autre ambition que de « pulser » a dû trouver là un motif supplémentaire « d’adhérer » au spectacle. Seul bémol à cet égard : l’âge moyen des spectateurs, le soir où nous avons vu la pièce, était bien trop élevé pour ce genre de musique… Autre qualité qui devrait être prisée par la jeunesse d’aujourd’hui, ou plutôt toutes celles et ceux qui ignorent ce que le mot « humanités » (avec s) veut dire et sont enchaînés au zapping : la pièce ne risque pas de les ennuyer, les personnages étant à peine esquissés, les héroïnes du féminisme – puisque c’est de cela qu’il s’agit – présentées si succinctement qu’on ne retient guère que leur nom et un ou deux faits de gloire, sans aucun détail qui les rendrait vivantes. Les pièces consacrées aux grandes figures du féminisme ne sont pas rares (nous avons assisté récemment à celle qui est consacrée à Olympe de Gouges[i] – qui ne figure pas parmi les « nominées » de Gerty Dambury). Alors qu’elles ont tout pour nous passionner, leur parcours étant le plus souvent exceptionnel, il est bien difficile, dans cette pièce, pour qui ne connaissait pas déjà celles qui y sont évoquées, de deviner ce qu’elles ont vécu. Même si elles sont six ici (parmi lesquelles un personnage fictif, la Mrs Dalloway de Virginia Woolf), ce qui réduit fatalement la quantité d’informations à transmettre pour chacune d’elles, de là à en dire aussi peu ! Car le texte mise systématiquement sur la répétition des mêmes phrases le plus souvent très brèves (« Armons nous ! », par exemple) scandées par la musique comme dans un opéra rock. Encore une fois, une telle option devrait séduire une partie des spectateurs. Disons simplement que ranger cette pièce dans la catégorie « théâtre » est pour le moins trompeur.
Plus généralement, on est conduit à s’interroger sur les intentions réelles de l’auteure-metteuse en scène. Le propos affiché est de mettre en valeur quelques figures féminines souvent héroïques. L’action est d’ailleurs censée se dérouler un 8 mars (jour de la fête de la femme, donc) dans un studio de radio où sont reçues des femmes qui ont marqué l’histoire à un titre ou à un autre. Mais alors pourquoi avoir traité quasiment toute la pièce sur le mode de la dérision, celle-ci ne devenant un tant soit peu « sérieuse » que quand elle aborde – mais si vite ! – quelques tares bien réelles de notre société, comme les viols, les disparités salariales, les horaires des caissières de supermarché, … ? Certes, il est de bonne guerre de se moquer de la baisse chez les mâles humains du taux de testostérone, qui les transforme progressivement en « hommes de ménage » (pas tous cependant, à preuve certaines atrocités moyen-orientales actuelles). L’interrogation porte ici sur le fait de présenter les femmes que l’on est censé vouloir honorer comme des pantins tout juste bons à se trémousser (souvent joliment, certes) en répétant quelques formules stéréotypées en guise de mantras.
[i] https://mondesfrancophones.com/espaces/periples-des-arts/dune-heroine-a-son-contraire-olympe-de-gouges-et-mademoiselle-julie/