— Par Michèle Bigot —
Le texte de Henri alleg a été écrit en 1957. Ce n’est pas une fiction, c’est le témoignage sans concession de ce que son auteur a subi en fait de torture. Nous sommes en pleine guerre d’Algérie. Henri Alleg est arrêté en même temps que Georges Hadjadj et Maurice Audin. Les trois militants seront torturés impitoyablement et Maurice Audin mourra sous les coups. Henri Alleg résiste à un traitement dont la barbarie est sans égale. Miraculeusement il s’en sort vivant et décide de raconter par le menu les tortures qu’il a subies. Il écrit pour les autres, pour tous ceux qui sont morts sous les coups et pour alerter l’opinion, conformément à son éthique de journaliste. Jérôme Lindon décide courageusement d’éditer ce texte aux éditions de Minuit. Le texte fut écrit par morceaux sur du papier toilette que la femme d’Henri Alleg sortait clandestinement. Alors que les tortionnaires ont tous été amnistiés, Henri Alleg a continué à être inquiété. L’État français lui a longtemps gardé rancune d’avoir raconté ce dont ses sbires étaient capables et il commence à peine à reconnaître sa responsabilité.
Porter sur scène ce texte est une gageure. Il s’agit de donner à sentir ce qui a été vécu sans le minimiser tout en conservant la pudeur nécessaire à l’empathie du spectateur. Le résultat est magistral, autant grâce à la mise en scène qui a su suggérer sans tomber dans le réalisme sordide que grâce au jeu de Stanislas Nordey qui a traduit la souffrance tant dans son corps que dans son expression et sa diction. Son corps est l’instrument qui lui permet de traduire la souffrance sans montrer l’acte de torture lui-même. Il est aidé en cela par un texte magnifique de précision et d’intelligence qui donne à voir une victime dont la force morale l’emporte sur la cruauté et le cynisme de ses bourreaux. Un plateau d’une grande sobriété, en fond de scène deux séries de rideaux de corde qui s’agitent au rythme de la montée frénétique de la douleur, une musique qui devient obsédante quand il s’agit de chansons populaires montées à plein volume pour couvrir les cris des prisonniers. Il a fallu tout le talent d’acteur, toute la maîtrise du geste pour interpréter ce corps supplicié et cette âme qui est au bord de l’évanouissement sans jamais renoncer.
Malheureusement ce texte et cette performance restent d’une totale actualité, quand on sait que, comme le rappelle Laurent Meininger, la liste est longue des pays qui pratiquent la torture aujourd’hui, selon le rapport ACAT* de 2021, « Un monde tortionnaire ». Au total, un exemple de spectacle aussi émouvant que nécessaire.
Michèle Bigot
*ACAT : (Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture)