— par Jean-Marie Nol économiste et ancien directeur de banque —
Nous connaissons depuis début 2020 une situation inédite, liée à la pandémie mondiale, qui bouleverse nos repères. Cette crise est avant tout un défi humain et surtout économique pour la Guadeloupe . Ainsi avec la révolution numérique, l’e-commerce, la robotisation, et le télétravail, l’on va bientôt assister à une transformation de l’économie guadeloupéenne à marche forcée. Dans les années qui viennent, il sera question de transformer le modèle économique en Guadeloupe pour le mettre au diapason du changement de paradigme dans le monde actuel. Un monde où la transition écologique est l’affaire de l’État, des collectivités locales, mais aussi des entreprises, des agriculteurs, des citoyens ; un monde où le numérique a réduit les distances et pose de nombreuses questions dans la sphère du travail ; un monde où les bouleversements de la robotisation, de l’e commerce et du télé-travail auront des incidences directes sur notre croissance .
C’est dans ce contexte que nous estimons que le plan de relance de la région en Guadeloupe manque d’ambition réformatrice et est trop trop beau pour être vrai. En réalité, cette étonnante distribution d’argent aux entreprises à travers le plan de relance de l’économie n’est qu’artificielle et aura de surcroît des effets pervers sur l’activité économique.La stratégie de la région est risquée car le problème, c’est qu’avec des aides peu sélectives,très mal appréhendées sur le terrain de l’analyse financière par les cadres du conseil régional à l’exemple de la société de production de masques :Respire plus. Avec ces subventions et prêts qui se prolongent plus que prévu, on va fabriquer en masse des entreprises zombies avec potentiellement à la clé un déficit budgétaire régional en posant des pansements sur des gangrènes. Et là réside le véritable danger d’un futur chaos financier et économique.
La Guadeloupe va bientôt rencontrer selon nous six obstacles majeurs à la reprise de la croissance : la révolution numérique, la démographie, l’éducation, les inégalités, la baisse de la dépense publique et la multiplication des entreprises zombies. Les caractéristiques de l’emploi sur le territoire de la Guadeloupe s’en trouveront modifiées. En ce sens, en premier lieu la révolution numérique constitue une rupture majeure du modèle de création de richesse pour la Guadeloupe , et plus largement pour l’ensemble des pays d’outre-mer .Un phénomène renforcé par la volatilité toujours plus grande des nouvelles caractéristiques du travail , en particulier le télé-travail lorsque celui-ci comporte une composante de risque. En effet, il convient d’imaginer dès maintenant les dangers futurs du télétravail.
Avec le télétravail, c’est au tour des guadeloupéens de faire face à une concurrence internationale.
Nous sommes entrés dans une nouvelle phase de la mondialisation : « La transition sera douloureuse, en particulier pour les travailleurs des pays d’outre-mer . » La plupart des tâches administratives seront délocalisables » à l’étranger, prévient l’économiste Richard Baldwin.
On sait maintenant que le travail de bureau peut être opéré à distance. Donc, qu’il peut souvent être réalisé depuis une petite ville de province… ou depuis l’étranger. Faut-il craindre pour la Guadeloupe une vague de délocalisations, dans les secteurs des services prépondérants dans l’économie guadeloupéenne, à l’instar de ce qu’il s’est bien passé pour les services informatiques des banques en Guadeloupe, tous délocalisés en France hexagonale ou encore idem pour les centres d’appels des sociétés multimédias et téléphoniques ?
Ensuite, la problématique de l’obstacle démographique, tout d’abord, résidera dans le déclin du taux d’emploi du fait de la révolution numérique et de la robotisation. Nous avons moins d’enfants, donc il y a moins de demande pour les produits. Nous vieillissons et vivons plus longtemps, ce qui augmente les coûts de nos soins de santé. En outre, les personnes âgées ont davantage tendance à épargner qu’à consommer.
Au tour de l’éducation de constituer un obstacle parce que le diplôme n’est plus la garantie d’un emploi à la mesure de l’investissement .
L’augmentation des inégalités , est aussi responsable du blocage de la croissance, car elle entraîne une stagnation, voire une baisse de la demande globale. Par ailleurs , la baisse inquiétante de la dépense publique et son corollaire l’endettement ralentira la croissance parce qu’elle se traduit à moyen/long terme par un surcroît de pression fiscale et par une baisse des dépenses publiques, deux effets qui compriment l’investissement et la demande globale.
Enfin le phénomène pervers de la multiplication des entreprises zombies. Et témoigne surtout de la « zombification » de nombreuses entreprises depuis le début de la crise. L’OCDE dépeint les entreprises « zombies » comme « des entreprises dont le revenu opérationnel est insuffisant pour couvrir leur charge d’intérêts pendant trois années consécutives ».
Censées disparaître, les entreprises zombies survivent grâce à des éléments extérieurs favorables. Et la crise sanitaire a renforcé le phénomène en maintenant en vie grâce aux aides publiques consenties par l’Etat (chômage partiel, PGE, reports d’impôts et de cotisations…) des firmes qui n’auraient pas survécu sans ce puissant soutien.
Pour certaines, les aides publiques destinées à protéger l’économie ne font que retarder le dépôt de bilan. Mais d’autres parviennent à s’en sortir sur le long terme en étant tout juste rentables: Ces entreprises zombies peuvent rester durablement dans le circuit économique, avec un effet pervers pour les finances régionales . Lors de cette crise sanitaire, le politique a choisi de mettre sous cloche l’économie pour sauver des vies. S’est ensuivi un phénomène de glaciation des flux économiques dont on connaît les effets. En guise de compensation, l’Etat et la région font, pour l’instant, le choix de sauver toutes les entreprises. Mais l’analyse des comportements et des données nous amène à un constat : ce serait une grosse erreur de soutenir les entreprises non viables. Car après tout, maintenir des entreprises en vie, par le biais de faibles taux d’intérêts ou par le recours aux finances publiques, permet de sauver des emplois. Un argument évidemment non négligeable pour préserver le capital humain. Le problème en revanche, c’est lorsque ces firmes sous perfusion viennent affecter sur le long terme l’activité économique dans son ensemble, en particulier celle des entreprises viables, en ralentissant leur développement et donc leurs embauches et surtout en impactant de façon négative l’équilibre des finances régionales . C’est désormais acquis que la région en Guadeloupe distribue de l’argent à fonds perdus car ces entreprises sont vouées à disparaître du marché. L’exemple le plus frappant est l’usine sucrière de marie galante qui est devenue quoiqu’on en pense une entreprise zombie. Nos élus locaux sont incapables d’anticiper l’avenir, sinon ils auraient dû songer à transformer cette usine sucrière en unité de production de l’ethanol. Une étude de l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) montre que la production d’éthanol à partir de la canne à sucre est la solution à privilégier. En effet, si l’on étudie le rapport entre la quantité d’énergie fossile utilisée dans l’intégralité du processus qui va de la culture de la plante jusqu’à l’obtention du carburant final et l’énergie restituée, le constat est flagrant.
A l’heure de ces projections sur ce que sera l’avenir de notre économie, c’est tout l’art de la prospective ! Comment imaginer la Guadeloupe du futur ?
Nous changeons dépoque avec la pandémie de Covid, alors il est plus que temps d’élaborer des « grands scénarios », où il s’agit d’ébaucher plusieurs hypothèses pour le futur, souvent à un horizon de vingt ans, qui serviront de base à des plans de stratégie territoriale.
Oui, la pandémie va bien avoir un effet accélérateur sur un changement fondamental de l’époque révolue de la départementalisation. Nul doute que nous vivons à l’aube d’une nouvelle ère faite certes de progrès, mais sans croissance. Nous sommes à un véritable tournant et nous avons la possibilité de construire une autre économie. Il faut profiter de ce marasme économique provoqué par la crise du Covid pour effectuer un changement radical de modèle économique et social.
“Il faut faire passer le développement économique avant le préjugé idéologique.”… Lionel Jospin.
Jean-Marie Nol économiste et ancien directeur de banque.