Jusqu’au 22 décembre 2023
« La pli bèl anba la bay » signifie : « La plus belle est sous le tonneau ».
Je me suis inspirée d’un conte antillais qui raconte l’histoire de deux sœurs : Joséphine et Cècène. Cècène était mal aimée. Elle était condamnée à des tâches domestiques. Mais, plus elle travaillait, plus elle devenait belle. Un jour Cècène partit travailler dans les champs. Tandis qu’elle coupait la canne, un élégant jeune homme s’approcha d’elle et lui offrit une fleur d’hibiscus. Rentrée à la maison, elle raconta à sa mère ce qu’il s’était passé.
La mère qui désirait, avant tout, marier Joséphine sa fille aînée, mit en place une stratégie pour écarter Cècène. Elle cacha celle-ci sous un tonneau. Le lendemain, lorsque le jeune homme se présenta et voulut voir Cècène, la mère lui répondit qu’elle n’était pas là et lui présenta Joséphine parée de sa plus belle robe. Á ce moment, un perroquet aux couleurs chatoyantes se mit à crier : « La pli bèl anba la bay !!! ».« La pli bèl anba la bay !!! ».
Malheureusement, le jeune homme ne comprit pas le message.
Cette parole du perroquet est, me semble-t-il, une parabole qui pourrait parfaitement illustrer la fonction révélatrice de l’art : dévoiler ce qui est caché.
Cècène n’est pas visible. Elle échappe au regard du jeune homme parce qu’elle est sous le tonneau. Mais, il est possible qu’elle soit vue si on écarte ce qui fait écran, empêchant donc d’accéder à sa beauté. De même, on pourrait dire que l’œuvre d’art serait ce qui dévoile, ce qui convertit et transforme notre regard sur le monde en nous permettant de le voir autrement. Sa vocation consiste à déchirer le voile des apparences pour porter à la lumière du jour ce qui, en temps normal, demeure invisible au regard : la beauté des choses. Ordinairement, on croit qu’il faut être au plus près de la réalité parce que les besoins et les intérêts matériels des hommes sont ce qui structure leur rapport au monde. Á l’opposé, le désintérêt de l’artiste pour l’utilité, l’efficacité, la productivité le rend disponible pour une perception plus profonde de la réalité.
Ainsi, l’art ouvre la voie à ce qui est dans l’ombre, au réel caché, aux éléments invisibles. C’est en cela qu’il rend le monde davantage visible.
« La pli bèl anba la bay !!! »
Il y a ce que nous ne voyons pas, ne percevons pas, ne sentons pas dans les éléments et dans les scènes de la vie quotidienne. Mais à travers l’œuvre d’art, le jeu des formes et des couleurs, de l’ombre et de la lumière, nous pressentons qu’il y a de l’invisible caché dans cette présence visible. Il y a une trace qui produit, en nous, un effet : la beauté.
Et, c’est en nous-mêmes que nous poursuivons cette recherche pour en retrouver l’origine. Chaque descente en soi-même, chaque regard porté sur l’œuvre d’art est singulier. Il est une version possible du monde. En ce sens, l’œuvre d’art est aussi inépuisable que les émotions et les formes de l’imaginaire. L’œuvre d’art se détache de l’artiste, elle accède à une vie autonome, devient une personnalité, un sujet indépendant animé de son propre souffle.
Le perroquet qui crie à tue-tête : « La pli bèl anba la bay !!! » nous invite à découvrir celle qui se dérobe à la vue. Il est comme l’artiste qui regarde et nous amène à voir l’invisible. Le perroquet-sentinelle et l’artiste visionnaire ont un pouvoir de révélation. Par eux s’esquisse l’épiphanie de ce que nos yeux ne voulaient pas voir, ne voyaient pas ou ne voyaient plus.
Patricia LOLLIA (Décembre 2023)