— Par Roland Sabra —
Marcelle Basso, Raymonde Palcy et Robbas Biassi Biassi dans
« La petite négresse de l’île Saint-Pierre »
C’est l’histoire de Ti Prinses, celle de Sam Alpha, une Princesse en son île, entre Seine et cimetière, aux aurores brumeuses et que la vie soulève à l’infini des jours. C’est un temps qui n’est plus et qui pourtant toujours insiste à faire retour. C’est un récit qui foule aux pieds sa véracité pour atteindre au bout des mots sa vérité. Ti Prinses est d’ici et d’ailleurs, elle vit en chacun de nous, elle est cet enfant, père de l’adulte devenu.
Prinses, sans nom,elle ignore qui est son père, de toute façon les pères comptent pour si peu « ils boivent, ils râlent, ils tapent », alors en avoir ou pas c’est du pareil au même et à bien y réfléchir mieux vaut ne pas les voir. Elle est élevée par sa grand-mère maternelle inépuisable source d’amour, un bloc monolithe , imprévisible, agnostique tendance athée, qui bouffe du curé ce corbeau accueilli par des croassements bouffons afin qu’il prenne ses jambes à son cou au plus vite : « Bon vent, la plume au cul et le feu d’dans » La grand-mère, sur la scène présence d’une absence envahissante, est le personnage central du travail de Claude Défar et de Magali Berruet, « Petite négresse de l’ïle Saint-pierre » présenté pour la première fois au public lyonnais en novembre 2004 et que nous avons eu le bonheur de découvrir au Théâtre Municipal de Michèle Césaire en mars de cette année.
Trois personnages sur scène, « Elle » « l’Autre » et un Griot qui s’évertue à vouloir mettre en récit une tranche de vie. Qu’est que c’est que raconter sa vie? N’est-ce pas toujours une ré-écriture? Quel rapport le récit a-t-il avec la réalité qui n’est plus? Pourquoi choisit-on cet événement, plutôt que celui-là? Comment mettre de l’ordre dans l’énoncé sans tuer l’énonciation? Comment dire sans trahir, « Langue longue, vie plate » dit la grand-mère dont les aphorismes aussi nombreux que truculents nous renvoient à ceux entendus dans nos enfances? Car c’est la force de Claude Défar d’avoir recueilli des bribes de souvenirs de Raymonde Palcy et tel le Griot de la pièce par sa mise en geste, de convoquer les nôtres sur l’autel de nos mémoires, celles de la « Famille Duraton » des vasistas en Mica et des imperméables en Tergal, celles des odeurs de colle blanche à l’école, celles des Arméniens rescapés du génocide et des bougnats couverts de suie, celles d’un monde interlope entre chien et chat, celle de la prohibition dans le cercle familial du créole -« pour mieux réussir à l’école »-! Sur l’autel au coeur du tabernacle gît l’expérience sartrienne de la découverte de l’altérité quand Ti Prinses apprend par l’autre qu’elle est une négresse. Spécificité dont elle s’imagine qu’elle a pour conséquence de devoir être la première dans tout ce qu’elle entreprend!
Le travail de mise en scène est d’une réelle finesse. Théâtre de bascule, le rire se noue dans l’immédiat instant qui suit. Marcelle Basso était un peu en retrait, accrochée à son bar, accessoire inutile pour évoquer un temps où le vin se dit pinard, Robbas Biassi Biassi en griot soucieux de mettre de l’ordre là où il n’y en a pas, était d’une grande justesse, illustrant dans sa composition la distance inhérente à la mise en récit. La récitante, dans un jeu bien maîtrisé, avec beaucoup de retenue a su faire remonter en nous des émotions de l’enfance, des souvenirs de rites de passage, notamment dans la superbe envolée finale au cours de laquelle elle advient à elle même quand elle passe des jeux de la Seine au « Je » de la scène.
Petite négresse de l’île Saint-Pierre de Claude Défard. avec : Marcelle Basso; Robbas Biassi Biassi et Raymonde Palcy. Mise en Scène : Claude Défard assisté de Magali Berruet. Lumière : Jord Le Dortz. Musiques : Robbias Biassi Biassi. Costumes : Marylène Richard
Théâtre Municipal de Fort-de-France les 16, 17 et 18 mars 2006
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Roland Sabra