ou la part indienne de la créolité antillaise en Martinique. Entre mer Caraïbe et Golfe du Bengale.
Lu par Jean-Yves CHANDAVOINE.
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Termine-t-on la lecture d’un livre comme on termine un voyage ?
Un peu, surtout que La panse du chacal de Raphaël CONFIANT, (Folio, Mercure de France, 2004) fait voyager son lecteur, entre l’Inde du Sud ou le Coromandel et la Martinique par la force de la mémoire, de la nostalgie voire de la mélancolie : ce qui vous fait partir, traverser les océans, vivre l’enracinement en Martinique des migrants indiens du Tamil Nadu dans l’univers impitoyable de l’Habitation et de la coupe de la canne à sucre…
Pas tout à fait, néanmoins, car le récit imaginaire et réel de la migration des «coolies» aux Antilles, histoire de la traite et de l’installation indienne au goût amer, n’a rien de commun avec nos voyages touristiques contemporains.
Les voyageurs au long cours quittèrent Mother India sous l’empire de la nécessité, de la ruse, de la drogue et du mensonge. Ils voyagent dans des conditions infra humaines, meurent avant d’arriver, et arrivent en terre promise pour s’apercevoir que les conditions de travail offertes sont celles d’esclaves qu’ils remplacent en partie sur les plantations désertées de leurs bras devenus libres ! Les Colons comme les Noirs affranchis et libérés réservent aux « z’indiens » un accueil douteux et ne manquent pas de leur faire payer un octroi de mer de rigueur…
De plus, le récit ne relate pas véritablement un aller et un retour. Mais un aller simple. Définitif.
Il s’agit d’une véritable coupure. Une transplantation. Un changement d’identité. Une histoire nouvelle, sur une terre nouvelle, avec des langues neuves, le créole et le français, des dieux différents, des rituels saugrenus, l’apprentissage sur le tas des West Indies ou Les Indes d’Edouard GLISSANT (auquel il faut rendre hommage pour nous avoir expliqué, Le discours antillais, le « degré zéro » de la famille antillaise ou encore le «Tout-Monde » traduction de l’expression créole « Tout-moun »).
Le sort de l’Indien-Tamoul en Martinique a bien évolué en un siècle.
Fin XIXème siècle, pauvre hère le plus souvent intouchable (Dalit) sous la malédiction du « Kala Pâni » (Eaux noires maudites) qui « pèse sur la tête de tout hindou qui quitte la terre sacrée de l’Inde » (page123). « Kouli, ou pa pésonn ! Ou tou potré an zékal piébwa lafoud dérayé (…) » (Couli, tu n’es personne ! Espèce de vieille souche brûlée par la foudre !) (page132), une fois arrivé sur le sol de l’Habitation Courbaril ! Déboussolé et fataliste, l’Indien-Tamoul découvre qu’« au fond, le monde créole était pareil au nôtre avec ses castes et ses interdits, c’est-à-dire tout en haut, les Békés-brahmanes, au milieu les mulâtres-vaishya, en bas les Nègres-shudra et encore plus bas, nous autres, les Indiens-parias. » (page 202).
Début XXIème siècle, sa condition de paria antillais a bien changé : couli mangé chien, chapé couli puis créole à part entière, à l’instar de la négritude, « l’Inde en Nous », travaille la matrice caraïbe, nègre et européenne pour forger l’antillanité et la créolité contemporaine. Dans le pays Martinique où « la guerre des places » demeure aussi vive mais avec des modalités différentes que celles du Temps de l’Exclusif et de la société de plantation d’hier, les Indiens se sont répartis dans l’espace antillais en brisant l’enfermement de l’exclusion sociale ethnique primordiale. Les réussites les plus connues sont politiques. Incarnées par la figure emblématique du personnage du « Christ » du roman de Patrick CHAMOISEAU, Texaco, qui, met en scène, dans le bidonville de la Pointe des Nègres à Fort de France, l’urbaniste futur maire de la même ville-capitale, envoyé par Aimé Césaire en personne en mission de réhabilitation de « la mangrove urbaine ». Serge LETCHIMI (de LAKSHMI, déesse de la prospérité), devenu plus tard député-maire, puis récemment Président du Conseil Régional de la Martinique témoigne de l’ascension sociale indienne aussi bien dans les milieux politiques, économiques et intellectuels des Antilles. L’Indien n’est plus un paria, c’est un Antillais à part entière, fier de son histoire, de ses origines et de son destin.
Le dernier chapitre de « La panse du chacal » intitulé « Le temps neuf » clos le récit en l’ouvrant « dans l’avancée du Temps créole, du peuple caraïbe, Temps d’Europe et Temps d’Afrique. » (page 363). Raphaël Confiant décrit le rituel des obsèques de l’Ancêtre, « le débarqué de « l’Aurélie », ce navire mythique qui avait triomphé de la furie des deux océans. ». « Ses funérailles rassemblèrent Indiens, Nègres, chabins, mulâtres, Chinois, Syriens et Békés, accourus de tout le nord de la Martinique, tout ce peuple créole d’ordinaire si acharné à s’entre-déchirer. Chacun était conscient qu’un Temps neuf commençait à s’installer et qu’il faudrait désormais inventer des mots inédits, débarrassés de leur gangue de haine, pour pouvoir le vivre. » (page 375) Enfin, le dernier mot du livre est laissé à Vinesh qui séduit Firmine avec les vers de Baudelaire :
Tes pieds sont aussi fins que tes mains, et ta hanche
Est large à faire envie à la plus belle Blanche…
Le Temps neuf du XXème siècle allait être celui de l’école républicaine, de deux guerres européennes et mondiales, de la fin de l’économie de la plantation, de la départementalisation des quatre vieilles colonies françaises, du « Soleil des indépendances » (Ahmadou KOUROUMA), de l’émergence de la société de consommation et de la Sécurité Sociale, de nouvelles grandes dépendances et de nouveaux ressentiments d’un Temps cyber moderne, Temps pressé et Temps béton.
Toujours à la recherche du Paradis perdu…
Temps long des Upanishad, du Yoga et de la condition humaine :
Temps du Mantra de la page 157 de La panse du chacal :
« Om, asato maa sat gamaya / Conduis-moi du non-être à l’être
Tamaso maa jyoti gamaya / Conduis-moi de l’obscurité à la lumière
Mrytor maa amritam gamaya / Conduis-moi de la mort à l’immortalité. »
Pondichéry, le jeudi 10 février 2011
Jean-Yves CHANDAVOINE
jean-yves.chandavoine@wanadoo.fr
Jean-Yves CHANDAVOINE en voyage en Inde au moment de l’écriture de cette note de lecture, réside à l’Habitation Bambou du champ à Saint-Joseph depuis 1979. Il est marié à une africaine indienne, originaire de Dar Es Salam en Tanzanie.
JYC a commencé la lecture de La panse du chacal en Martinique, l’a terminée à Pondichéry…