— Par Christian Antourel —
Ces deux là sont des migrants, en partance pour « un jardin d’Eden » rêvé. C’est clair, ils rythment la pièce au son de leur horloge interne et intime.
L’histoire commence ainsi : un fleuve. Apparaissent deux personnages sur la berge, visiblement poursuivis, qui attendent l’arrivée d’un passeur chargé de les faire traverser et rejoindre l’autre rive. Du côté de la Liberté. Toute la pièce se passe pendant leur attente de ce batelier considéré comme un ange de la mort. Dans ce carré, espace limité par le souffle des acteurs tout se joue, l’acuité de ce qui défaille. Ils espèrent, égrènent leurs souvenirs s’en inventent même, rêvent, réfléchissent à leur avenir.
Avec un minimum de ressources mais de l’imagination à un moment où les migrations sont modulées par des guerres et la misère incessante des peuples : l’actualité nous est donnée sur un plateau. Le scénario restitue l’attitude des migrants face à un choix cornélien, ils sont placés face à des dilemmes complexes, à savoir rester où ils vivent et risquer des mauvais traitements, voire la mort en fonction de leur situation personnelle, d’une part et risquer la mort en embarquant à bord de l’embarcation d’autre part La liberté ou la mort !Le fleuve « c’est une frontière, ou en tous cas un passage qui conduit à un lieu différent. » C’est aussi le défi ultime pour ces deux personnes qui n’ont quasi plus rien à perdre portées par l’énergie du désespoir et qui s’apprêtent à cette traversée (du désert,) cette épreuve que représente le franchissement du fleuve, comme autrefois la traversée du Styx, fleuve qui dans la mythologie grecque coulait aux enfers. Charon le faisait passer aux ombres des défunts moyennant une obole.
Ricardo Miranda a choisi cette pièce car « elle met en jeu les patrons fondamentaux de la narration littéraire et théâtrale : l’amour, la frustration, l’angoisse du changement, la famille la mort, l’oppression, l’exil, le voyage. » Ces mots illustrent parfaitement le chant lexical de la migration, du migrant, que nous sommes tous plus ou moins à un degré ou a un autre et nous touchent dans leur acception universelle. Les personnages sont engagés dans l’action suite à une décision radicale, malgré l’apparente immobilité de l’attente. Le passé et le futur se rencontrent au bord de ce fleuve à la fois réel et symbolique, par leurs souvenirs et leurs rêves. C’est dramatique dans le sens ou les personnages semblent enfermés dans un
destin tragique. Cette pièce fait irruption dans le paysage scénique par une architecture fondée sur la dissociation et la déstructuration mise en scène dans un désenchantement de lignes brisées. Elle devrait trouver au Théâtre Aimé Césaire l’accueil nécessaire pour désenclaver le territoire théâtral et développer la radicalité ouverte des personnages dans une filiation de l’art visuel. Une démarche qui sans renier l’imaginaire corporel et sonore de la mise en scène permet une relation évidente avec le champ des arts visuels et investit une expérience sensible de l’image dans l’éclatement des signes qui morcellent aujourd’hui notre perception du monde.
En pratique :
Au théâtre Aimé Césaire
Jeudi 11, vendredi 12
Samedi 13 mai
Mise en scène : Ricardo Miranda
Scénographie et costumes :
Sarah Desanges
Musique : X-Alfonso
Création lumières :
Guido Calli
Distribution :
Astrid Mercie& Nelson Rafaël Madel
Une création Martinique 2017
Une production de Dimwazell’Cie
Texte paru dans Le Mag France Antilles
Christian Antourel