— Par Roland Tell —
L’idéalisme politique des députés et sénateurs de la Guyane au Parlement Français s’est révélé impuissant à amener le Pouvoir d’Etat à prendre conscience de la réalité guyanaise vraie. Cela, pendant de longues mandatures ! C’est la principale leçon civique à tirer des évènements récents, qui ont entraîné le peuple guyanais, dans toutes ses composantes, à un retour complet sur sa situation réelle, sur les acquis comme sur les manques, hors tous ferments pathogènes de séparatisme, pour tenter de construire une Guyane moderne, au sein de la République Française.
Toute la société guyanaise s’est retournée sur elle-même, s’appliquant à exiger la venue de ministres, pour mieux avancer dans l’égalité réelle, pour faire avec eux le recensement, le dénombrement, l’évaluation des gigantesques besoins du pays – oeuvre nécessaire, étant entendu que l’opinion publique générale, bien plus que ses représentants à Paris, entend contrôler elle-même son destin. Il s’agit, en particulier, de la validité générale de ses revendications, sur les plans de l’éducation, de la santé, de la sécurité, de la justice, de la propriété foncière, etc… A Cayenne donc, par l’analyse et par la description des réalités guyanaises, par la mobilisation des foules, par les témoignages directs des uns et des autres, c’est toute la Guyane, qui cherchait à se faire connaître elle-même, selon la méthode phénoménologique d’Husserl. « Venez voir, connaître, pénétrer, la nature, et les causes du mal guyanais, pour procéder, dans le détail des situations de crise, au discernement du réel, et donc de l’action gouvernementale constructive à engager ! »
Certes, tâche hasardeuse pour des ministres, en vertu des nécessités imposées de réunions collectives, afin d’éviter justement toute contagion politique, voire idéaliste. La démarche du peuple guyanais, étant de construire un mieux-être des hommes et des femmes, vécu, exercé, et de surcroît les réhabilitant comme citoyens de pleine égalité, au sein de la République, les installant dans la modernité, solidairement avec tous les citoyens français, à qui, par leurs colossales manifestations, ils ont voulu donner une conscience d’eux-même, de plus en plus profonde. Certes, retour sur la Guyane, pour leur vécu existentiel, mais sans chercher à rompre le lien avec la nation ! Car si la France est multiple, elle doit veiller à ne pas réduire les conditions de vie sociale, au sein de son large espace hexagonal et ultramarin, et donc s’interdire toute espèce de discrimination de ce que sont le progrès et la modernité.
Telles sont les revendications, proclamées ici ou là, dans les différents cortèges, où les Guyanais manifestaient par rapport à leur situation actuelle, nettement en dessous de la moyenne nationale. Pour pousser le plus loin possible l’analyse correcte de leur contenu d’existence, ils se sont mobilisés en masse, afin d’exiger que l’Etat vienne à eux, pour juger, se déterminer, et distinguer, de mieux en mieux, le nécessaire redoublement de la politique de développement, s’y rapportant. Il s’agit, à vrai dire, d’une re-constitution de la vie guyanaise, selon une correspondance rigoureuse entre besoins exprimés et moyens de vie, d’existence, d’expansion, telle une opération vitale, consistant, essentiellent pour la Guyane, à être dans la France moderne, même là où elle se trouve – égalité bien supérieure à celle de la distance et du temps.
Les jours et les semaines passant, après l’échec des négociations, et le départ de la délégation ministérielle, seule la voix populaire guyanaise se fait entendre encore, de manière toujours bruyante, et de plus en plus furieuse contre le Pouvoir Central. En effet, le plan d’aides, proposé par celui-ci, ne prend pas suffisamment en compte le processus de totale dégénération, se produisant progressivement en Guyane. A cet égard, le gouvernement français commet deux graves erreurs sur le déclin guyanais. D’une part, en faisant prédominer le point de vue de l’assistance d’urgence sur celui de la compréhension globale de la situation, à long terme, de la collectivité territoriale, donc sur les raisons intrinsèquement constitutives de sa dégénérescence, en tant que peuple, autant que de sa décadence économique et sociale. Le gouvernement français ne considère nullement toutes les diversités actuelles de la Guyane, toutes les déterminations nouvelles, qui la particularisent, car rendues indiscernables, depuis la lointaine France. Et pourtant l’identification réelle de ce qu’est devenue la Guyane d’aujourd’hui perçait dans les cris de détresse des foules, de plus en plus anxieuses de l’avenir guyanais. Certes, il ne faut pas identifier la Guyane avec la généralité régionale, même d’Outre-Mer, en y introduisant les mesures caractéristiques d’une région ordinaire. Il s’agit de faire abstraction de ce qui appartient exclusivement au normal, au naturel, et au classique, pour concevoir la déviation, la singularité, l’anormal ! Rien de ce qui concerne les espèces ordinaires de collectivité régionale ne s’apparente au genre de pays, que forme la Guyane, avec ses expériences authentiques d’invasion par ses frontières, donc la multiplicité de ses habitants, avec de plus en plus le sentiment d’une exitence humaine, prenant d’autres dimensions, d’autres valeurs – expérience dramatique, pleinement élaborée, exigeant de nouvelles approches sociales, éducatives, économiques, politiques, susceptibles de préparer le peuple guyanais à retrouver le sens de son être collectif ! Certes, à la condition d’aller plus loin vers la modernité…
Roland Tell