— Par Marina Da Silva —
Le Théâtre Paris-Villette accueille pendant dix jours un projet théâtral hors-norme avec des détenus du centre pénitentiaire de Meaux autour de dix chants de l’Iliade. Magistral. (Photo Charlotte Gonzales)
Ils arrivent un à un sur le plateau où il y a seulement des chaises disposées en arc-de-cercle et prennent la parole pour se présenter. Mon nom est Achille, fils de Pelée… Agammemnon… Patrocle… Ils sont en jean ou en survêtement mais la densité de leur regard et de leur présence nous aimante. L’effet de déplacement est prodigieux. Tous les spectateurs – qui ont payé leur place – connaissent les enjeux de cette nouvelle odyssée de l’Iliade interprétée par des détenus, des ex-détenus devenus comédiens et des comédiens professionnels, qui va être donnée en dix épisodes, dix jours de suite, et se construit encore chaque jour en répétition avant d’arriver en pleine lumière.
Un projet titanesque. L’an dernier, en janvier 2016, Valérie Dassonville et Adrien de Van, directeurs du Théâtre Paris-Villette, avaient lancé Vis-à-vis, une proposition inédite et audacieuse autour de la création artistique en milieu carcéral, qui s’était clôturée par un premier chant de l’Iliade, monté par Luca Giacomoni avec des détenus du Centre pénitentiaire de Meaux. La qualité et l’intensité de la représentation ont fait le reste. Le metteur en scène est invité à poursuivre son travail. Ce sera tout l’Iliade, qu’il rêve de porter à la scène depuis longtemps et qui pour lui éclaire magnifiquement l’injonction « Nous sommes en guerre » brandie dans le champ politique et médiatique de ces dernières années. Le texte d’Homère, dans l’adaptation subtile d’Alessandro Baricco, met en scène la guerre légendaire entre Achéens et Troyens, qui commence avec l’enlèvement d’Hèlène, et n’en finit pas de durer avec son cortège d’affrontements et de souffrances. Un ovni pour le nouveau groupe de détenus à qui il faut donner envie de participer à l’aventure, et dont un seul avait dû assister à une représentation théâtrale dans toute sa vie. Il faut d’abord s’apprivoiser et déjouer a prioris et stéréotypes. Ceux qui restent perçoivent l’intensité et les lignes de force du texte millénaire qui dissèque la mécanique du conflit – avec soi-même, avec l’autre, avec la société – et entre directement en résonance avec leur vécu.
Il faudra aussi un travail d’organisation sans faille, dans un contexte de grandes contraintes. Les répétitions régulières combinent un travail en milieu fermé avec les personnes détenues auxquelles vont se joindre les acteurs professionnels, et un travail par ailleurs, entre acteurs professionnels et anciens détenus, qui eux ne peuvent plus pénétrer au centre pénitentiaire. Deux jours d’ateliers-répétitions en prison par semaine durant sept mois, de mi-octobre à fin avril. Parfois, il n’y a plus que deux détenus lors d’une séance qui tombe au moment d’une visite au parloir ou avec un avocat. Mais ceux qui restent ne lâchent rien…
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