La Noire de… Un film d’Ousmane Sembène

Mercredi 18 septembre – 18h30 à Tropiques-Atrium

Avec Mbissine Thérèse Diop, Anne-Marie Jelinek, Robert Fontaine
France / Sénégal | 1966 | 1h | Horreur | Prix Jean Vigo 1966 | Version restaurée 4K – Sortie le 9 octobre 2024
Synopsis :
Une jeune nourrice sénégalaise rejoint ses patrons français à Antibes. Elle espère découvrir la France et veut la visiter, elle comprend vite que sa patronne ne l’a fait venir que pour servir de bonne à tout faire, sans aucun répit.

L’incantation silencieuse d’une révolte contre le néocolonialisme

— Par Hélène Lemoine —

Ousmane Sembène, figure majeure du cinéma africain, marque une rupture essentielle dans l’histoire du cinéma avec son premier long métrage, *La Noire de…*. Ce film de 65 minutes, conçu dans un format nécessaire pour obtenir l’aval du CNC, reflète les débuts d’un cinéaste qui se détache des codes esthétiques occidentaux pour offrir un cinéma profondément engagé. Avant *La Noire de…*, Sembène avait déjà esquissé ses talents de conteur et de critique sociale avec *Borom Sarrett* (1962), un court métrage néoréaliste. Cependant, *La Noire de…* pousse cette critique à un niveau supérieur, en devenant un jalon incontournable dans l’histoire du cinéma africain. Le film est fortement influencé par la tradition orale des griots, faisant écho aux incantations de la culture africaine à travers la voix off de Toto Bissainthe, qui incarne les plaintes intérieures de Diouana.

Tourné entre Dakar et Antibes, *La Noire de…* s’appuie sur des contraintes budgétaires pour mieux refléter le sentiment d’isolement et d’aliénation de son héroïne, Diouana. Cette jeune femme, employée comme domestique par une famille blanche, se retrouve prisonnière d’un quotidien d’exploitation et de déracinement. Interprétée avec justesse par Mbissine Thérèse Diop, Diouana incarne une révolte silencieuse contre l’oppression. Refusant de se soumettre aux injonctions de sa maîtresse, son mutisme devient une forme de protestation face au racisme décomplexé et à l’arrogance néocoloniale de ses employeurs.

*La Noire de…* est un réquisitoire sans concession contre le néocolonialisme, dénonçant non seulement les inégalités raciales, mais aussi l’hypocrisie des élites africaines, prêtes à imiter leurs anciens colonisateurs. Monsieur, ingénieur en poste à Dakar, représente la trahison des promesses de coopération entre l’Afrique et la France, tandis que son comportement opportuniste laisse entrevoir un avenir sombre pour l’Afrique. Sembène, loin de marteler son message avec véhémence, préfère recourir à des symboles et à des métaphores subtiles, comme le masque africain, objet utilitaire qui, au fil du récit, devient un symbole de résistance.

Initialement, Sembène avait proposé une version plus longue du film, intégrant 30 minutes de scènes en couleur pour exprimer les rêves de libération de Diouana. Ces scènes furent finalement retirées, l’auteur préférant une approche plus sombre et fidèle aux réalités frustrantes de l’Afrique post-coloniale. Ce choix donne au film une portée politique plus marquée, renforcée par sa réception critique et les nombreuses récompenses obtenues, dont le prestigieux Prix Jean Vigo.

Adapté de la nouvelle *Voltaïque*, *La Noire de…* est une œuvre éminemment politique qui raconte l’histoire de Diouana, une jeune gouvernante sénégalaise embauchée à Dakar pour s’occuper des enfants d’une famille blanche. Une fois en France, elle se retrouve réduite au rôle de bonne à tout faire, ses rêves de liberté se transformant en désillusions amères. À travers le destin de Diouana, Sembène dépeint l’Afrique humiliée et opprimée par la colonisation. Diouana, doublement marginalisée en tant que femme et domestique, devient l’emblème d’une lutte plus vaste contre l’injustice et les préjugés.

Un symbole clé du film, le masque africain, prend une dimension centrale dans la critique de Sembène. Introduit comme un simple jouet au début du récit, il devient un objet de convoitise pour les employeurs blancs, incarnant leur vision paternaliste et superficielle des cultures africaines. Ce masque, au-delà de son aspect esthétique, représente une restitution symbolique des richesses spoliées et une critique acerbe de la négritude, telle qu’elle était alors promue lors des festivals d’arts nègres. Finalement, le masque, rendu à la mère de Diouana à la mort de cette dernière, résonne comme un geste de repentance, mais aussi comme une dénonciation de la politique culturelle franco-sénégalaise.

À travers *La Noire de…*, Ousmane Sembène livre une œuvre complexe, qui transcende le fait divers pour devenir une critique universelle du colonialisme et des dynamiques de pouvoir. Il crée ainsi un cinéma libérateur, où chaque symbole, chaque silence et chaque geste devient une arme contre l’oppression.