Maryse Condé, fonction : « Je suis créole de façon confuse et africaniste de façon intello »
Quel regard vous portez sur cette première adaptation [de La Vie Sans Fard] en Avignon après sa création au Théâtre National de la Criée à Marseille ?
Pour moi c’est un peu dur car au départ c’est fait comme une confidence à un lecteur et là ça devient un texte lu, dit, adapté.
Donc l’intimité dans laquelle je me protégeais n’existe plus. Le texte devient une chose que je reçois en pleine figure. Et c’est un peu douloureux, agréable quand on réfléchit, mais au départ un peu douloureux.
Quel impact vous pensez que la pièce a sur le spectateur ?
Je crois que le spectateur qui n’a pas lu un de mes livres peut être un peu dérouté, un peu troublé. Il ne connait pas l’écrivain, il n’a pas imaginé sa vie de femme, il la reçoit en pleine figure, il faut un peu de temps pour comprendre, je crois que pour le spectateur c’est un peu dur également.
Quels ont été votre plus grande souffrance et votre plus grand bonheur ?
La plus grande souffrance a été de vivre dans des pays où je n’étais pas acceptée, intégrée. En Guinée, par exemple, tout le monde m’appelait la « toubabesse ? » , ça signifie l’étrangère, la blanche. Au Ghana, c’était pire, il n’y avait aucun effort d’intégration. Le plus grand bonheur peut-être, c’est justement le fait d’arriver à vivre en étant étranger quelque part.
Aimé Césaire a écrit que « Le mouvement de la négritude affirme la solidarité des Noirs de la diaspora avec le monde africain » , votre expérience de vie ne semble pas aller dans ce sens ?
Il n’y a aucune solidarité, les africains ne nous [les Antillais] ont jamais considérés comme des frères, moi je n’ai jamais connu cette solidarité. C’est un mythe, une construction de l’esprit, qui ne repose sur rien de vécu.
D’après vous, est-ce que la négritude est un concept qui fascine autant qu’il déçoit alors ?
Non, c’est plutôt le désir de construire quelque chose qui vous permet d’avoir de la force. On peut avoir de la force en n’ayant rien de construit : force dans le dénuement, force dans le désert, force dans l’absence. Je crois que la négritude est une construction qui ne repose sur rien et qui n’apporte rien à l’individu.
Quelle place tient par contre l’africanisme selon vous ?
C’est la connaissance intellectuelle de l’Afrique. C’est une connaissance raisonné et raisonnable.
Et comment combinez-vous la créolité ?
Je porte en moi une forme de créolité qui est ma nature, ma vie. On peut dire que je suis créole de façon confuse et je suis africaniste de façon intello. Tout cela se mêle pour fonder Maryse Condé, une femme…
Est-ce que vous pouvez nous raconter la rencontre avec « Cahier d’un retour au pays natal » ?
J’étais en hypokhâgne quand une camarade me la fait connaître. J’ai passé la nuit à le lire et il m’a complètement envahie d’une façon positive et négative.
Au début, j’étais plus sensible à la construction, c’est pour ça que je suis allé en Afrique mais une fois arrivée là-bas, j’ai découvert le mythe.
Quels souvenirs gardez-vous de votre rencontre avec Aimé Césaire ?
Aucun, c’était un homme très timide, très réservé, très renfermé il avait fait l’Ecole Normale Supérieure avec un de mes frères donc il m’en a parlé, mais il ne s’est jamais intéressé à moi.
C’est une déception ?
Non, car quand j’avais 20 ans, il y avait le monde des hommes et les femmes ne comptaient pas, donc il m’a paru normal qu’il n’attache aucune importance à ce que j’étais.
Vous faites partie de ceux qui ont mené un combat actif pour que le 10 mai soit reconnu comme la journée de commémoration de l’abolition de l’esclavage, quel message vous avez envie de transmettre aux jeunes générations ?
Rien! Chacun se débrouille et fait ce qu’il peut. Pas de règle et pas de voie tracée qu’il faut suivre. Comme dit la chanson : « Chacun fait fait fait… c’qu’il lui plaît plaît plaît…! » (rires).
Propos recueillis par Nicolas Facino pour France-Antilles du 18 juillet 2014