. — Tribune du jeudi Guy Flandrina —
« Un homme libre ne pense à aucune chose moins qu’à la mort,
et sa sagesse est une méditation non de la mort mais de la vie ».
Spinoza
. Il y a peu, des membres de la liste MCM, se sont entretenus avec le docteur Josiane Jos Pelage afin de mieux appréhender la problématique de l’empoisonnement à la chlordécone.
. Cette rencontre -hors de tout champ politique- visait à entendre la voix de la science, pour agir en conscience.
. Josiane Jos Pelage est l’un des trois médecins de Martinique ayant un diplôme universitaire en médecine environnementale. En outre, sa longue expérience de praticienne et sa grande implication professionnelle et personnelle en font un médecin de référence quant à notre sujet. Cette femme, d’un optimisme à tous crins, a tout de même réussi à nous faire partager sa « grande inquiétude quant à la santé de plusieurs générations de nos compatriotes ».
. En effet, comme nombre de ses confrères, membres de l’Union Régionale des Médecins Libéraux (URML), elle constate que « les cancers, aux formes multiples, sont de plus en plus nombreux et frappent un nombre croissant de jeunes ». Ainsi, dit-elle, pour ne prendre qu’un exemple : « Bien que la mortalité par cancer de la prostate ait diminuée de 25% à 10% environ l’incidence standardisée reste deux fois supérieure à celle de l’Hexagone (180 cas environ pour 100.000 hommes contre 80 cas en France) ». L’infertilité féminine mais aussi masculine est, elle aussi, en constante augmentation… les fécondations in vitro (FIV) en attestent.
. Les médecins de l’URML, font partie de la Commission de Santé de la Martinique. En 2008, le problème des troubles sanitaires qui pourraient être liés à la chlordécone y est évoqué. Ces scientifiques décident donc de se pencher sur la détérioration de la santé des martiniquais au regard de ce pesticide. A ce problème se greffe l’épandage aérien.
. Du pesticide … génocide !
. Le docteur Jos Pelage, présidente de l’Association Médicale de Sauvegarde de l’Environnement et de la Santé (AMSES) y voit un danger encore plus grand par l’accumulation de molécules de pesticides, fongicides, herbicides… A une telle échelle, c’est un drame qui vire à l’homicide voire, selon ce médecin, au… « génocide » !!! puisque « la qualité de la transmission de nos gènes est perturbée (épigénétique) ».
. L’AMSES entame donc sa croisade. Elle use, longuement et vainement, de recours gracieux auprès du préfet pour obtenir l’annulation de l’épandage aérien de fongicides sur des terres déjà empoisonnées à la chlordécone. La justice saisie tranche en faveur des plaignants. Mais, le représentant de l’État produit un nouvel arrêté et encore un autre… A chaque annulation par des tribunaux, son texte autorisant cette pratique est renouvelé… Madame Jos Pelage souligne qu’il « a fallu saisir le tribunal administratif à trois reprises, entre 2012 et 2013, pour qu’une décision ministérielle vienne (enfin !) mettre un terme à l’épandage aérien dans les bananeraies et les champs de maïs ». Mais cette praticienne constate que si « les voisins des champs concernés poussaient un ouf de soulagement, pour les ouvriers agricoles l’épandage manuel a continué, tout comme leur empoisonnement »…
. La Martinique se meurt à petit feu. Il suffit pour s’en convaincre de regarder les chiffres officiels relatifs à la courbe des naissances : Dans les années 2000, on en dénombrait 5.000 par an. Actuellement, nous ne comptabilisons plus que 3.600 nouveau-nés. Depuis 2007, la Martinique compte 5 % de naissance en moins alors que, parallèlement, la mortalité augmente !
. Certes, le BUMIDOM a joué un rôle considérable dans la dénatalité de la Martinique. Les générations, ainsi déportées, ont procréé dans l’Hexagone au détriment de notre île.
. Mais là n’est pas le seul facteur. La diminution de la fécondité vient désormais en première ligne, comme le constate le corps médical. Le Dr Jos Pelage n’hésite pas à dénoncer un « génocide programmé » car trop de femmes souffrent d’insuffisance ovarienne, d’endométriose… la population ne se renouvelle pas ! C’est toute une génération qui disparaît : les 50/70 ans principalement.
. Pas de justice, pas de paix
. Chacun fait le constat de l’empoisonnement de tout un pays :
. – Les souffrances de toute une population, avec en première ligne le monde agricole,
. – Les répercussions environnementales : eaux de surface et souterraines,
. – Les conséquences pour nos productions végétales, animales, pour la pêche côtière… sont connues de tous ; en plus hauts lieux. Ces faits ont provoqué de graves troubles sociaux dans notre pays. Ces désordres ont même conduit à des affrontements communautaires, mettant à mal le vivre-ensemble que nous appelons de nos vœux.
. L’on sait que 92% de la population est déjà contaminée. Mais le pire est devant nous. Comme le prédit le Dr Jos Pelage : « la contamination concerne la transmission sur 2 ou 3 générations ; soit : 75 ans » ! Cette scientifique affirme que « nos enfants et petits-enfants n’y échappent pas ». Elle observe, avec d’autres chercheurs que « l’asthme, le diabète, l’obésité, les insuffisances rénales et les myélomes sont deux fois plus élevés que dans l’Hexagone ».
. Pour ce médecin qui se bat pour la santé des martiniquais, le seul vrai remède c’est le « zéro chlordécone ». C’est ici que l’optimisme de cette scientifique reprend le dessus : « l’avantage avec l’épigénétique (mécanisme modifiant de façon réversible, transmissible et adaptative l’expression des gènes) c’est qu’elle est réversible ; si l’on arrête la contamination ».
. Voilà donc les raisons qui nous amènent à dire que la question de notre empoisonnement collectif mais aussi de nos sols, de nos rivières, de notre chaine alimentaire doit nous amener à nous unir ; à faire Peuple.
. Quand une partie de notre jeunesse s’en est prise à des symboles de notre Histoire, Yan Monplaisir, tout en condamnant des actes de violence, affirmait qu’il « ne saurait y avoir de paix sociale sans justice ». L’AMSES a raison de traduire cinq anciens ministres devant la Cour de Justice de la République. L’État doit prendre ses responsabilités afin que les coupables soient châtiés et les victimes indemnisées.
. Les débordements que nous avons enregistrés sont, pour une bonne part, liés au mépris des cris partis des mornes jusqu’aux rivages chlordéconés et… non entendus.
. Notre engagement nous impose une forte implication dans l’exécution opérationnelle du Plan Chlordécone ; singulièrement quant à l’objectif zéro chlordécone qui n’y est pas pris en compte.
. Il faut que la Justice passe, pour que ce scandale trépasse !
. Mi chans Matinik