— Par Cyril Comte, chef d’entreprise —
Je consacre mon temps à conduire des activités commerciales et je n’ai donc guère de légitimité pour évoquer un sujet à la fois grave et polémique pour certains. Cela dit, j’ai exercé localement des responsabilités syndicales qui m’ont instruit qu’il faut de temps en temps savoir prendre la parole pour mettre un sujet sur la table. Par conséquent, face au silence qui entoure la question des réfugiés – aucun des débats en cours pour la prochaine élection régionale ne l’a abordée -, je souhaite appeler l’attention sur ce sujet et inciter nos responsables politiques et publics à en débattre et à passer à l’action à l’échelon régional.
L’Europe est confrontée pour la première fois depuis la deuxième guerre mondiale à une migration d’envergure liée à un conflit armé non loin de ses frontières. Nous avons tous vu à la télévision ces images de milliers (des centaines de milliers d’hommes et de femmes) qui fuient non seulement les combats en Syrie mais aussi la tyrannie barbare et la cruauté des terroristes de l’Etat Islamique, qui est venue jusqu’à nous lors des terribles attentats perpétrés à Paris. Ces hommes, ces femmes et ces enfants ont marché des milliers de kilomètres, bravé la mer dans des embarcations de fortune, porté leurs enfants à bout de bras pour trouver enfin en Europe le soulagement de la paix et de la sécurité, même si l’accueil est mitigé et les murs nombreux comme on peut aussi le comprendre de ceux qui sont les premiers exposés à ces mouvements de population.
Face au mur hongrois, aux barbelés Slovènes ou Serbes, Patrick Chamoiseau a eu l’occasion de rappeler la nécessité de tomber les murs. Pour nous, c’est un océan qui nous sépare de ce que certains peuples européens vivent comme une sorte d’invasion forcée et la menace d’un changement de civilisation sous le poids du nombre et de l’arrivée opportuniste de ceux qui ne fuient pas la barbarie mais la misère économique. Nous ne pouvons certes pas accueillir toute la misère du monde. Nous pouvons cependant aider à accueillir ceux qui ont tout quitté pour assurer tout simplement la sécurité de leurs enfants et la leur propre face aux bombes, aux massacres et aux exécutions. Les récents attentats de Paris nous ont montré tragiquement ce que ces réfugiés nomment leur quotidien depuis des mois et des années.
Les injonctions morales qui s’appliquent aux autres et non à soi ayant peu de valeur, le principe de subsidiarité – qui veut que l’échelon le plus proche du terrain prenne la responsabilité de décider – nous engage à prendre position en Martinique sur cette question à a fois tragique et brûlante.
Je propose que la Martinique s’organise pour accueillir 3000 réfugiés Syriens. C’est avant tout un devoir de solidarité européenne et en même temps notre intérêt économique. De nombreuses études montrent au niveau européen l’impact positif de ce flux migratoire sur le PIB, au moins à hauteur de 0,5%. Cet impact est d’autant plus important dans les régions qui souffrent de décroissance démographique, comme c’est notre cas. Le nombre que nous pouvons accueillir est évidemment lié aux aides que nous pouvons négocier avec l’Etat et l’Europe. Il convient donc d’affiner l’analyse du nombre que l’on peut accueillir et que des propositions émergent pour traiter cette question pressante. C’est en théorie tout l’intérêt du débat politique avant une élection.
Alors pouvons-nous accueillir 2000, 3000 ou 4000 réfugiés Syriens sur 2 ou 3 ans? Il me semble que oui et il y faut un plan minutieux et délibéré. L’an dernier, les démographes nous ont annoncé que nous avions perdu 2000 habitants, alors que nous aurions dû en gagner 2000. Au cours des 15 prochaines années, nous savons que cette tendance va s’accélérer pour nous forcer à faire la transition d’une économie longtemps dynamisée par sa jeunesse à une économie des tempes grises. Pour respectables qu’elles soient, les temps grises produisent de moins en moins et consomment de moins en moins. Sur notre territoire isolé et éloigné, je crois que nous ne pouvons nous permettre de nous résoudre à cette fatalité. Rien n’est en effet plus récessif au plan économique et social que le vieillissement conjugué à la réduction de la population. Nos efforts pour attirer les talents originaires de notre région sont par ailleurs couronnés de succès mitigés, tout simplement parce que les opportunités économiques sont insuffisantes.
Il me semble qu’il appartient à la Région de prendre l’initiative de manifester sa disponibilité au gouvernement pour cet accueil et en négocier les conditions administratives, économiques et sociales. Pour réussir un tel projet, il convient de construire un plan d’actions précis, conçu avec l’Etat et les partenaires sociaux, qui couvre les enjeux d’accueil, de logement, de formation et d’insertion dans l’emploi. La Martinique compte plus de 400 entreprises de plus de vingt salariés. Si l’on considère que le tiers d’entre elles sont plus ou moins en difficultés, on peut imaginer que la moitié d’entre elles, ainsi que nombre d’entreprises de moins de 20 salariés, soient en mesure d’offrir 1000 CDD de 12 mois pour mettre le pied à l’étrier aux actifs parmi ces migrants qui devront faire vivre leurs familles. Il y faudra une démarche de persuasion forte et des aides financières pour obtenir une mobilisation à la hauteur de l’enjeu. Après 12 mois de CDD, on peut imaginer que nombre d’entre eux auront réussi à consolider leur emploi ou tout simplement acquis la confiance et la capacité de lancer une activité à leur propre compte. C’est en tout cas l’équation pour l’intégration réussie de 4000 personnes, qui auront pu préservé leurs structures familiales. Ce ne sera de plus pas la première fois que des syro-libanais feront souche sous nos latitudes.
Certains objecteront que nous ferions mieux de nous occuper de la misère économique qui nous environne, soit dans la Caraïbe qui n’en manque pas, soit dans nos propres territoires à travers un chômage endémique qui participe de notre déclin démographique. Si nous ne pouvons accueillir de migrants économiques alors que nous n’avons pas encore su traiter la question de notre propre chômage excessif, nous avons une responsabilité d’accueil vis-à-vis des persécutés et des pourchassés. Concernant le chômage endémique dans nos économies ultra-marines, c’est clairement une responsabilité qui incombe aux Régions d’outre-mer et à l’Etat pour recréer un cycle de croissance durable. Les entreprises sont des agents économiques qui s’adaptent aux conditions dans lesquelles elles opèrent. Ce ne sont pas elles qui font leur environnement. Les solutions sont pourtant connues pour cesser de faire du chômage une fatalité et nous sommes peut-être le dernier pays développé à ne pas vouloir les appliquer. Il serait utile que, au plan local, notre Région fasse preuve d’activisme en faveur de ces solutions bien connues: éduquer et former pour préparer à l’emploi; débloquer les freins à l’emploi, que sont la difficulté de licencier quand ça ne va pas ou quand les commandes ne suivent pas; cesser la surtaxation du travail qui en fait un choix structurant et dangereux pour chaque contrat à signer par un employeur; réduire la dépense publique de fonctionnement local pour proposer l’allégement de l’octroi de mer et réduire ainsi le coût de la vie; imaginer un grand projet structurant pour désenclaver notre économie nouée autour du Lamentin et de Fort-de-France et rééquilibrer ainsi l’aménagement de notre territoire; et quantité d’autres mesures de bon sens pour retrouver de la croissance en s’appuyant sur le dynamisme retrouvé des agents économiques. Il faut aussi rappeler que le chômage ne se réduira pas par la diminution des actifs, comme certains le croient. La diminution des actifs entraînera une réduction de notre économie qui aura de graves effets sur l’emploi.
Accueillir des réfugiés, c’est aussi l’expression de notre solidarité européenne, nous qui devons une grande partie du développement de notre économie au soutien non seulement de la Nation mais également de l’Europe. Des moyens financiers importants seront mis sur la table, à nous de nous en saisir pour faire de notre ouverture une opportunité de développement supplémentaire.
Il reste enfin les risques mis en valeur par certains que des éléments terroristes se mêlent aux réfugiés. C’est un risque important en Europe du fait de la liberté de circulation organisée par Shengen et de la porosité des frontières de certains pays de la périphérie méridionale de l’Europe. Pour ce qui nous concerne, toutes les identités continuent d’être contrôlées par la Police de l’Air et des Frontières entre la métropole et l’outre-mer. De plus, le financement du voyage exigera nécessairement une identification approfondie des familles éligibles à un programme d’installation dans notre Région. Il me semble donc que ce risque ne saurait être mieux contrôlé que pour les régions ou territoires d’outre-mer.
J’espère que cette question va être prise en charge dans le débat public qui prépare les prochaines élections régionales.
Cyril Comte
Chef d’Entreprise