— Par Jean Samblé —
La Martinique est aujourd’hui confrontée à une profonde mutation démographique qui dessine un avenir incertain pour son développement socio-économique. Pour la quatrième année consécutive, l’île connaît un recul significatif de sa population, marquée par des soldes naturel et migratoire négatifs. Cette tendance met en lumière des dynamiques préoccupantes : un exode massif des jeunes, un vieillissement accéléré de la population et une chute constante du taux de natalité. Ces éléments combinés fragilisent la capacité de l’île à renouveler ses forces vives et à assurer son développement futur.
Une jeunesse en exil
Le départ des jeunes adultes en quête d’opportunités professionnelles ou de formations universitaires est devenu une réalité persistante en Martinique. Le solde migratoire, déficitaire depuis 2006, s’est aggravé en 2023 avec un déficit de 3 040 personnes. Cette fuite de talents affecte directement la vitalité de la région, puisque les jeunes représentent un moteur essentiel du dynamisme économique et social. En 2023, la Martinique se classe parmi les régions françaises avec la plus faible part de jeunes de moins de 25 ans, ceux-ci ne représentant plus que 25 % de la population, un chiffre en baisse notable par rapport à 2013 où ils en constituaient 30 %. Cette déperdition démographique pose la question de la capacité du territoire à retenir ses jeunes diplômés et à attirer ceux qui partent se former ailleurs, un défi crucial pour contrer l’appauvrissement de son tissu humain.
Le poids croissant des seniors
Parallèlement, la Martinique voit sa population vieillir à un rythme accéléré. En 2023, l’île est devenue la région française avec la plus forte proportion de personnes âgées de 60 ans et plus, celles-ci représentant 33 % de la population, contre 24 % en 2013. Ce vieillissement accentué se traduit par une augmentation significative du taux de mortalité, qui s’établit à 10,9 ‰ en 2023. Ce chiffre, bien qu’en baisse par rapport à la période marquée par la pandémie de Covid-19, reste nettement supérieur aux taux observés avant la crise sanitaire. L’espérance de vie a, elle aussi, connu une légère amélioration, s’élevant à 78,2 ans pour les hommes et 83,8 ans pour les femmes en 2023, mais cette hausse peine à compenser les effets du vieillissement rapide de la population.
Le vieillissement de la population pose de nombreux défis, notamment en termes de couverture sociale, de soins médicaux et d’adaptation des infrastructures. L’augmentation de l’indice de vieillissement, passé de 0,71 en 2013 à 1,18 en 2023, témoigne de l’ampleur de cette transition démographique. Le défi est d’autant plus complexe que la diminution des jeunes actifs se combine à une hausse des besoins en services pour les personnes âgées, une tendance qui pourrait mettre sous pression les finances publiques et les systèmes de solidarité locale.
Un taux de natalité en chute libre
Le déclin du taux de natalité en Martinique est un autre facteur clé de cette crise démographique. En 2023, seulement 3 340 enfants sont nés sur l’île, soit 160 de moins qu’en 2022, prolongeant une tendance à la baisse amorcée depuis plusieurs années. Ce recul est particulièrement marqué chez les jeunes femmes. Le taux de fécondité des femmes de moins de 30 ans a chuté de manière spectaculaire, avec une baisse de 57,9 % des naissances pour les mères de moins de 20 ans entre 2013 et 2023. Cette évolution s’accompagne d’un vieillissement des mères : en 2023, l’âge moyen à la naissance était de 30,3 ans, confirmant une tendance à la maternité tardive.
L’indicateur conjoncturel de fécondité, qui s’établit à 1,66 enfant par femme en 2023, est également en baisse, reflétant une tendance généralisée en France, mais qui en Martinique prend une ampleur plus inquiétante. Ce taux reste en deçà du seuil de renouvellement des générations (2,1 enfants par femme), accentuant le vieillissement de la population et amplifiant le déficit naturel de l’île. Sur une décennie, le nombre de femmes en âge de procréer a également chuté, passant de 71 000 en 2013 à seulement 57 300 en 2023, ce qui explique en grande partie la baisse des naissances.
Une pression accrue sur les structures sociales et économiques
La baisse simultanée du taux de natalité et de la population active jeune, associée à un vieillissement rapide, impose des défis importants pour la gestion des ressources humaines et la planification des services publics en Martinique. L’offre de soins, notamment, devra s’adapter à une population de plus en plus âgée, avec des besoins croissants en soins gériatriques. Par ailleurs, la réduction de la population en âge de travailler risque de peser sur le dynamisme économique du territoire, limitant sa capacité à attirer des investissements et à générer de l’emploi.
Enfin, la baisse du nombre de mariages (900 en 2023, soit 90 de moins qu’en 2022) s’inscrit dans une tendance de longue durée, mais témoigne également des transformations sociales profondes qui affectent la structure familiale en Martinique. Cette érosion du nombre de ménages constitués pourrait avoir des répercussions sur le tissu social, les modèles de solidarité familiale et les perspectives démographiques à long terme.
Quel avenir pour la Martinique ?
Face à ces tendances démographiques alarmantes, la Martinique doit repenser ses politiques publiques pour assurer la pérennité de son développement. L’enjeu principal réside dans la capacité du territoire à créer un environnement attractif pour sa jeunesse, que ce soit par la mise en place de politiques d’insertion professionnelle adaptées, le développement d’un tissu économique diversifié, ou encore la valorisation des atouts culturels et géographiques de l’île pour attirer les talents.
En parallèle, il est nécessaire d’anticiper les besoins liés au vieillissement de la population, en investissant dans des infrastructures de santé adaptées, ainsi qu’en favorisant le développement de services à la personne. Enfin, des actions doivent être entreprises pour encourager les naissances, notamment en soutenant les jeunes familles à travers des politiques d’aides à la parentalité, de logement et de garde d’enfants.
La Martinique se trouve à un tournant décisif de son histoire démographique. Si les tendances actuelles ne sont pas inversées, l’île risque de voir sa population continuer à décroître, avec des conséquences majeures pour son développement économique et social. Les défis sont nombreux, mais ils ne sont pas insurmontables si une stratégie claire et ambitieuse est mise en œuvre.
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