—Par Jean-Marie Nol, économiste —
En pleine montée des tensions économiques et alors que la Russie a agité la menace nucléaire dans des termes voilés, Bruno Lemaire le ministre de l’économie et des finances déclarait sur un ton belliqueux « Nous allons livrer une guerre économique et financière totale à la Russie », promettant que les puissances occidentales allaient « provoquer l’effondrement de l’économie russe » pour punir l’invasion de l’Ukraine. Quelques jours plus tard, après que le ministre de l’économie et des finances ait haussé le ton , le Fonds monétaire international (FMI) prévient qu’une escalade du conflit en Ukraine aurait des conséquences économiques « dévastatrices » au niveau mondial..
Pour autant, le conflit enclenché par la Russie à l’encontre de l’Ukraine pourrait avoir des conséquences économiques et financières considérables pour la France, alors que les marchés financiers s’effondrent et que le prix des matières premières s’envole. En effet, les cours des matières premières ont continué de flamber, atteignant des proportions inquiétantes et lourdes de conséquences pour l’inflation, le pouvoir d’achat et la croissance des mois à venir. Alors que les tarifs de l’énergie font flamber la facture du gaz et de l’essence des foyers martiniquais et guadeloupéens, le panier de courses devrait lui aussi ne pas être épargné par une hausse des prix des produits alimentaires.
A cela, il faut ajouter le boom du e-commerce dont beaucoup d’achats viennent de la Chine »l’atelier du monde ». L’offre ne peut plus suivre, la demande ne faiblit pas, résultat, les prix de beaucoup de produits grimpent. Combinée à cela, l’augmentation des prix du carburant pour l’avion et le navire, le fret aérien et le prix du conteneur devient beaucoup plus cher.
Bien évidemment, qui dit augmentation du coût de transport, dit augmentation des prix pour le consommateur. Une hausse qui peut se voir à la Guadeloupe ou le prix des voitures neuves a déjà augmenté de 13,5 %. L’explosion des cours du pétrole et du gaz naturel en Europe est aujourd’hui impressionnante : + 145 % en dix jours (pour l’indice ICE des prix du gaz naturel en Europe). Dans le même temps, les cours de l’aluminium ont atteint un nouveau sommet historique, dépassant de plus de 20 % le précédent record de juillet 2008.
Mais il y a encore pire, car si les matières premières énergétiques et industrielles sont importantes, elles n’influent pas directement sur la faim dans le monde, ce qui est en revanche le cas du blé. Or, les cours de ce dernier ont explosé de 67 % en dix jours et de 172 % depuis juin 2020, dépassant même de 14 % leur précédent sommet historique de mars 2008.
De fait, si en Mars , l’inflation atteint déjà presque 4% sur un an en France hexagonale , d’après une première estimation publiée par l’Insee, cela devrait encore fortement s’accélèrer à l’avenir . La crise Russo-ukrainienne, qui provoque une flambée des matières premières, devrait installer une hausse durable des prix, qui mettra un peu plus à mal le porte-monnaie des Français de l’hexagone mais également ceux de l’outre-mer. En effet, du côté alimentaire, la situation géopolitique à l’Est de l’Europe a des répercussions sur les cours du blé et du maïs qui ont atteint des niveaux jamais-vu. Et pour cause, la Russie et l’Ukraine comptent parmi les plus importants exportateurs de blé et de maïs au monde. Conséquence : de nombreux agriculteurs guadeloupéens et martiniquais , qui nourrissent leurs bêtes avec des céréales achetées sur le marché européen, devront répercuter cette hausse de la matière première sur le prix de la viande en magasin . Ainsi , tous les produits issus de l’élevage devraient voir leurs prix augmenter dans les prochaines semaines..
Mais le plus grand risque pour l’économie antillaise est peut-être qu’une crise prolongée fasse basculer ces pays ultra-marins très dépendants des importations, dans la stagflation, c’est-à-dire la combinaison d’une forte inflation et d’une faible croissance économique.
Si la stagflation est au rendez-vous comme aussi dans l’hexagone, les autorités de tutelle devraient probablement réduire leur soutien à l’économie antillaise encore plus rapidement et un ralentissement pourrait alors affecter les bénéfices des entreprises et ferait encore baisser la croissance déjà impactée par la crise COVID . Cela pourrait également réduire les investissements et la confiance des entreprises et des consommateurs, ce qui entraînerait une diminution du nombre de nouveaux emplois.
Ces tensions inflationnistes s’expliquent principalement par le fait que l’approvisionnement du monde en matières premières reste très dépendant de la Russie et dans une moindre mesure de l’Ukraine.
En effet, la Russie est le deuxième producteur mondial de gaz naturel (18,0 % de la production mondiale) et de pétrole (12,4 %), le troisième en matière d’aluminium, le quatrième d’électricité et le sixième pour le charbon.
Parallèlement, la Russie est aussi le premier exportateur de gaz naturel avec 22,6 % des exportations nettes mondiales, le premier exportateur de blé depuis 2016, avec 10 % de la production mondiale et 20 % des exportations mondiales. Elle est également le deuxième exportateur de pétrole brut (13,2 %) et le troisième en matière de charbon (15,5 %).
Quant à l’Ukraine , elle fournit une part importante des céréales dans le monde. La tonne de blé et de mais a déjà augmenté respectivement de 72% et 89% depuis le début du conflit.
Aux Antilles, nous risquons également d’avoir des problèmes d’approvisionnement en engrais, La Russie étant un gros fournisseur. Avec les sanctions économiques envisagées, il faut s’attendre à une forte hausse des tarifs des fertilisants. Avec les effets du Covid nous avions déjà d’importants problèmes de fret maritime, avec des tarifs qui ont augmenté de 30% en un an , et il va falloir s’attendre à de nouvelles hausses.
Concernant cette guerre entre la Russie et l’Ukraine, il s’agit d’un conflit dont les parties prenantes sont des puissances mondiales et qui a donc une portée mondiale aussi bien sur le plan militaire qu’économique.
Il est à craindre que l’entrée en guerre de la Russie contre l’Ukraine n’ait sur la Guadeloupe et la Martinique des conséquences beaucoup plus néfastes que lors de la pandémie de COVID (le quoiqu’il en coûte du président Macron a sauvegardé autant que possible l’économie antillaise) ,en tout cas sur le court terme.
Concrètement, on peut redouter que sous l’effet conjugué de la chute des bourses et de la montée des coûts des matières premières alimentaires , du gaz , et du pétrole, le moral des ménages soit lourdement impacté et que ces derniers voient leur pouvoir d’achat diminué de façon drastique.
Une envolée des prix, si celle-ci se confirme, est donc possible dès les prochaines semaines notamment sur les coûts de la construction.
Les entreprises quant à elles devront faire le choix de maintenir leurs marges et donc d’augmenter le prix de leurs produits, ou bien baisseront leur production, au détriment également des salariés. Un risque lié, donc, l’augmentation exponentielle du chômage.
Est-ce que la déflagration sera de courte durée seulement, ou plus longue ?
Mon analyse et mon ressenti de ce que je vois et entends depuis plusieurs jours en tant que curieux de géostratégie m’amènent à penser que la Russie a préparé son action pour qu’elle soit brève et efficace, mais il est fort probable que la résistance ukrainienne s’organise durablement avec l’aide des occidentaux, et donc il faut s’attendre à des conséquences économiques et financières sur toute l’année 2022. De plus la réélection de Emmanuel Macron est plus que probable et je pense sans risque de me tromper que la problématique de la dette et des déficits sera vraisemblablement à l’ordre du jour après l’élection, et de surcroît par voie de conséquence , que nous allons tout droit vers une politique de rigueur absolument indispensable pour redresser une situation économique et financière déjà bien précaire de la France. Et compte tenu de ce contexte, c’est surtout une guerre économique, bien plus que militaire , qui menace désormais les Antilles.
Jean Marie Nol économiste