La Martinique est-elle en train de décrocher économiquement ?

— Par Jean-Marie Nol, économiste —

Croissance, production locale , commerce extérieur, emplois industriels, niveau scolaire : une rupture nette est intervenue en 2013-2014. Jusqu’à cette date, la Martinique faisait jeu égal avec la moyenne de la zone Outre-mer , voire mieux.

À partir de là, un décrochage est intervenu sans qu’il soit possible, depuis, de le stopper. La faute à la vie chère, au coût du travail, au système éducatif, au sous-investissement des collectivités locales , à la trop faible taille des entreprises par ailleurs trop endettées , etc. Les causes sont multiples mais, pour le moment, les solutions demeurent inopérantes.

Ainsi en novembre 2020 , l’activité a encore plongé en Martinique de 34 % en raison du confinement. Les spécificités de son économie l’ont rendu vulnérable face au Covid-19.

Ne pas lire , ne pas voir, ne pas entendre, ne pas parler des choses qui fâchent bref, faire l’autruche est devenu le crédo de nombre de martiniquais . En ce moment, la vie politique en Martinique est très agitée du fait de divisions intestines au sein de la CTM. C’est là un danger pour le bon fonctionnement de l’institution et une menace sur le plan financier. Parce que la vérité est plus lente que le mensonge, parce que la désinformation est plus séduisante que l’information vérifiée, nous prenons le parti de démêler le vrai du faux. Depuis longtemps en Martinique ,tout le monde parle de prise de conscience, et personne ne se demande ce que cela implique comme responsabilité non pas politique, mais économique …

Or, depuis des décennies, la Martinique doute d’elle-même sur le plan économique . Elle se sent certes menacée dans sa culture, dans son modèle social, dans ses croyances profondes. Elle doute en fait de ce qui l’a faite économiquement . Dans une décennie , le pays Martinique sera engagée dans une mutation profonde. Le paysage politique , économique et social que nous connaissons depuis tant et tant d’années va s’évanouir sous nos yeux, en quelques années . Les partis anciens et nouveaux , les ententes ordinaires entre monopoles du monde économique , les compromis sociaux avec les transferts financiers de la « métropole » ,le mode de vie actuel , tout cela va s’effondrer sous nos yeux stupéfaits . Et cette mutation profonde, nous la subirons même si nous ne l’avons pas voulue. En un sens, nous n’en sommes pas conscients et c’est là le plus grave ! Ce que nous pensions connaître de la Martinique et de ses ressorts va changer à grande vitesse. Pourquoi cette mutation ? À quoi correspond-elle ? Bien sûr, certains vous diront que tout cela ne compte pas. Certains nombreux vous expliqueront que rien ne se passera et que la nature va reprendre ses droits et que le martiniquais finira par s’adapter au changement et retrouvera le sel de son esprit de résistance. Tout cet état d’esprit n’est autre que la traduction de celui du proverbe créole :  » manglous ka chanjé pwel, I pa ka chanjé po « ( la mangouste change de poil mais pas de peau) . A notre sens , tout ça , c’est au mieux des chimères et au pire des mensonges ! Alors , mettons-nous à nous poser cette question. Allons nous nous perdre dans cet avenir incertain ? Ce qui est logique car tout aura lieu à travers la transformation de l’économie et surtout de la mutation en cours du travail. Avec la crise du Covid 19, la révolution du télétravail en Martinique aura-t-elle lieu ? Un expert en droit du travail évoque ainsi un phénomène de «conscientisation» qui a conduit des télétravailleurs martiniquais à se demander au moment des deux confinements « à quoi sert mon travail, à quoi sert mon engagement ? » Et là, plutôt que d’en rester à des conflits interpersonnels avec la hiérarchie, il y a eu une autodétermination possible, avec un défaut d’engagement dans des tâches totalement inutiles, voire nuisibles à la société . Le télétravail présente le risque de provoquer un tassement des salaires et une crise de l’immobilier de bureau notamment dans les zones industrielles et commerciales comme la jambette et les zones du lamentin . Selon un nouveau rapport de l’Organisation internationale du Travail (OIT), les salaires mensuels ont baissé ou ont progressé de manière plus lente au premier semestre 2020 en raison de la pandémie de COVID-19 dans deux tiers des pays pour lesquels on dispose de chiffres officiels. Le rapport indique également qu’à brève échéance, la crise devrait faire subir aux salaires une très forte pression vers le bas. «L’accroissement des inégalités entraîné par la crise du COVID-19 menace de laisser derrière elle de la pauvreté ainsi qu’une instabilité sociale et économique, ce qui serait désastreux», souligne Guy Ryder, Directeur général de l’OIT. De plus, il faut nécessairement souligner que jamais le marché de l’emploi n’a connu d’aussi profondes transformations en raison de la crise du coronavirus et d’avancées technologiques fulgurantes. S’il nécessite ici ou là des réformes de fond pour assurer une prospérité synonyme d’emplois, il est aujourd’hui profondément bousculé par la 4e révolution industrielle, la digitalisation, l’intelligence artificielle et la robotisation.

Comment allons nous travailler demain ? Quel avenir pour le salariat ? Comment l’intelligence artificielle va-t-elle modifier le marché du travail en Martinique ?

L’introduction de la technologie peut avoir comme conséquence de baisser les salaires et même de détériorer les conditions de travail parce que la partie de l’automatisation effectuée par les machines va réduire la qualification du travail, et donc amener à une déqualification des personnes, et probablement à une baisse des salaires et, en même temps, le fait de mettre en place des systèmes automatisés risque de réduire les conditions de travail de la personne humaine, qui deviendrait guidée, esclave de la machine, et ce avec pour conséquence l’émergence de nouvelles tensions sociales en Martinique et Guadeloupe.

Aujourd’hui, la Martinique est face aux nouveaux défis comme le changement climatique (cf les derniers événements pluviométriques ayant entraîner des dégâts importants pour les infrastructures et l’agriculture) et les nouvelles technologies telles que la digitalisation des tâches et l’intelligence artificielle. Et le problème est qu’en Guadeloupe voire en Martinique , les dangers à terme d’une économie sous perfusion publique sont occultés par nos responsables politiques . Nous mettons d’ores et déjà en garde un petit pays comme la Martinique trop dépendant des emplois du secteur tertiaire. Ces derniers emplois sont d’après L’organisation international du travail (OIT) virtuellement menacés de déclassement par la numérisation et la robotisation d’ici une décennie.

La Guadeloupe et la Martinique sont menacées du fait d’une trop grande vulnérabilité aux emplois du secteur tertiaire.

Les financements publics extérieurs, l’État et les institutions publiques représentent près de 90% du PIB de la Guadeloupe et de la Martinique selon l’AFP. L’économie dépend des fonds publics par le biais des dépenses d’investissement, des dépenses de solidarité et des salaires des agents publics. Ceci est d’autant plus vrai que l’activité primaire et secondaire en est elle-même largement dépendante. Nous réitérons le fait que les transferts publics de la sur-rémunération des fonctionnaires en provenance de l’Hexagone tirent vers le haut les prix, alimentent l’assistanat, et empêchent la diversification vers une économie de production parce que le système subventionne de la consommation et non pas de l’investissement . Tout l’enjeu est non pas de dépenser moins mais de rediriger l’argent en direction de l’investissement au lieu de surpayer les fonctionnaires notamment territoriaux au risque d’une profonde crise de la trésorerie des collectivités locales de Martinique . Cet argent public doit donc être fléché vers le secteur de la production. L’on constate ainsi qu’il existe peu d’emplois par rapport à la population en âge de travailler et surtout des emplois moins productifs.

Les secteurs à forte valeur ajoutée étant peu développés en Martinique et Guadeloupe , les emplois sont moins productifs . En fait , les emplois actuels en Guadeloupe et Martinique ne sont pas à forte valeur ajoutée et donc risque de disparaitre à la fin de la décennie à venir. Désormais, il faut arrêter de tergiverser et prendre acte que nous ne pouvons plus faire reposer la croissance,le progrès, notre avenir sur les contingences du passé de la départementalisation. Nous devons donc remettre en question nos certitudes et changer de modèle de société. La révolution robotique et singulièrement numérique qui nous attend va remplacer en Guadeloupe comme en Martinique près de la moitié de la population active par des machines à horizon 2030. Un bouleversement potentiellement catastrophique qui aggravera la pauvreté et les inégalités aux Antilles . Lors de nos nombreux articles sur la question, nous n’avons eu de cesse d’insister sur la nécessité de s’adapter au monde en mutation dans lequel nous vivons. Que ce soit au niveau mondial, national, régional et local. Pour nous, la Martinique est ainsi face à de nombreux défis à relever, pour lesquels elle n’a malheureusement pas beaucoup d’atouts. Je suis totalement dubitatif pour l’avenir , car avec la crise du coronavirus, le monde a changé d’échelle et ça les Antillais ne l’ont pas encore bien compris. Demain, un grand nombre de travailleurs seront laissés au bord du chemin, du fait non seulement de la crise économique et sociale du Covid 19, mais également en raison de la révolution numérique et l’intelligence artificielle . Il s’agit de ceux qui se situent au milieu de la hiérarchie sociale.Les conséquences sociales, et on le voit aujourd’hui politiques, de ces transformations seront radicales. Les classes moyennes se sentiront déclassées, car elles ne pourront capter qu’une part infime de la valeur qui sera créée ces prochaines années. Qui plus est le blocage de l’ascenseur social ne permettra pas une projection sur les générations qui suivent et donc appauvrissement attendu de nos territoires. Les hommes politiques de nos territoires se doivent de réagir avant qu’il ne soit trop tard et pour ce faire, ils doivent impérativement anticiper le chaos annoncé du marché du travail aux Antilles.

 

Jean-Marie Nol économiste