— Par Yves-Léopold Monthieux —
« Parce que leur silence peut être considéré comme une espèce de complicité avec ce genre d’actes de vandalisme ». Samuel Tavernier.
Il est bien seul, le maire du François, à condamner l’incendie volontaire qui s’est produit dans sa commune. Pourquoi diable s’est-on pris à un entrepreneur de sa commune ? Ce qui lui interdit de se taire comme tous ses collègues : ceux de l’association des maires, ceux parmi lesquels il se trouvait dimanche lors de l’ouverture de la campagne de Péyi-a ; ceux qui tous, avec le maire idoine, ont « compris » l’acte raciste qui s’est produit au début du mois au Prêcheur et qu’il s’était, lui aussi abstenu de condamner ; ceux qui avalisent les dégradations commises dans des centres commerciaux, ainsi que les opérations de destruction de statues. Comme se taisent l’ensemble de l’intelligentsia à propos de ces exactions, ceux qui, pendant décennies, par leurs discours et leurs leçons, ont préparé ce qui se passe aujourd’hui et qui, tout à coup, effrayés, se voient dérangés dans leur confort bourgeois par le résultat obtenu. Oui, M. le maire Samuel Tavernier, il y a complicité des élus martiniquais qui, tous, se taisent, qui, tous, donnent en quelque sorte l’absolution à tout ce qui se passe aujourd’hui, sous le manteau des couleurs rouge-vert-noir.
Ce vendredi 15 janvier 2021 le feu est mis dans une manufacture de bananes destinées à l’exportation. De bananes qui, sous le coup de l’opprobre qui lui vaut le Chlordecone, ne sont pas autorisés à dire qu’elles se sont améliorées ou plutôt se sont décidées à être moins mauvais. C’est une mise à feu militante qui s’inscrit dans le droit fil des manifestations précédentes. Des équipements neufs et des véhicules s’envolent en fumées pour un préjudice matériel estimé à 1,5 million d’euros. Les conséquences humaines touchant les travailleurs conduits au chômage ne sont pas évaluées. Toutes les conséquences humaines sont contenues dans le désarroi exprimé par Marie-Hélène Surély qui « était là, impuissante, à regarder le hangar à banane brûler », son outil de travail s’évaporer. Mais cette brave militante sait qu’on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs : elle n’ose pas condamner. En effet, lorsque les actions subversives apparaissent, il est compliqué de faire le tri entre celles qui sont acceptables et celles qui ne le sont pas : on les assume. C’est un peu ce que fait la classe politique martiniquaise, en le taisant courageusement.
Ce lundi 18 janvier 2021 la télévision annonce qu’une enquête est ouverte et que les élus réagissent. En fait d’élus et de réactions, hormis Mme Mousseau qui désespère de voir les Martiniquais vivre en bonne intelligence, on n’a que la réaction du maire de la commune. Celui-ci se pique d’une déclaration molle (« peut-être », « espèce de », « genre de ») condamnant l’acte et s’inquiète de la situation des ouvriers, …ses électeurs. Sinon c’est le vide sidéral, ce n’est un sujet pour aucun autre élu. Pour aucun président de collectivité, aucun sénateur, député, maire ou président d’association des maires. Plusieurs partis politiques se sont réunis ce dimanche, plusieurs candidats aux élections prochaines se sont manifestés. Aucun d’eux n’a jugé utile de condamner l’évènement et, plus généralement, de se poser la question, lancinante pour certains et prometteuse pour d’autres, du non-respect de la loi et des déviances qui ne sont plus désormais l’apanage d’une jeunesse soumise aux ravages de la drogue. C’est le même silence qui avait accompagné la plus grande grève des enseignants, également à la veille d’élections, municipales, celles-là. Bref, des déviances qui mettent en délicatesse l’application du pouvoir régalien qui ne voudrait pas servir de carburant aux mèches qui s’allument.
Aucun responsable politique martiniquais, aucun sociologue, professeur, historien ou journaliste, aucun ordre professionnel ou confessionnel, aucun homme d’église ou d’obédience ne s’inquiète du fait que derrière tous les incidents qui s’accumulent depuis deux ou trois ans et qui sont tous demeurés impunis à ce jour, il y a une Martinique qui s’en va, une Martinique qui se délite, une Martinique qui emprunte la pente brune et glissante du racisme. Dans une atmosphère de défi permanent à la règle et une opinion publique chloroformée, tous les élus se taisent donc comme si la condamnation de la violence et du racisme constituait déjà un handicap électoral (leur condamnation et non les faits de violence et de racisme). Comme si la Martinique était déjà immergée dans une sorte d’extrême-droite et que tous, on s’en accommodait. Comme si elle était déjà prête pour se transformer en une petite république racialiste.
« Une espèce de complicité ? « …avec ce genre d’actes de vandalisme » ? M. le maire du François, n’ayons pas peur des mots : il s’agit une réelle complicité, coupable pour certains et salutaire pour d’autres. Non, M. le Maire, n’accusez pas de vandalisme ceux qui sont les bras des idées qui prolifèrent dans le silence de vos pairs. Des idées de haine et de détestation pour certains, des idées de juste révolution, pour d’autres. Oui, la Martinique brûle, tandis que s’en allant par milliers des Martiniquais votent avec leurs pieds.
Fort-de-France le 18 janvier 2021
Yves-Léopold Monthieux