Séance VO à Madiana le 26/11/2015 19h 30
— Par Dominique Widemann —
Les Suffragettes, de Sarah Gavron. La réalisatrice Sarah Gavron revient sur les activistes pionnières du droit des femmes dans l’Angleterre du XXe siècle et rend hommage à leur opiniâtre combat. Salutaire.
Londres, 1912. Au coin d’une rue, un groupe de femmes revendique le droit de vote, brisant au passage quelques vitrines. Une ouvrière, Maud Watts (Carey Mulligan) se fait prendre dans une bousculade qui d’abord la laissera perplexe. C’est elle dont la réalisatrice Sarah Gavron nous propose de suivre le parcours, cheminement d’un féminisme qui s’affirmera en conscience, aux risques et périls des pionnières qu’elle va rejoindre. Maud est l’épouse de Sonny et la mère du petit George. Elle trime dans une blanchisserie du quartier populaire de Bethnal Green. La tâche est rude au milieu des vapeurs suffocantes qui rongent les poumons, les corps ploient sous l’épuisement précoce, usés de brûlures. On pense aux univers gris de Dickens, à la Gervaise de Zola. Seul le linge fraîchement lavé dépose sa blancheur paisible. Le patron, Taylor, est une brute qui aboie et humilie ses employées sur lesquelles on devinera qu’il exerce un droit de cuissage, entre autres prérogatives absolues. La lumière très picturale du film le délestera du misérabilisme, nimbant volontiers les activistes qui se rassemblèrent alors sous l’égide de l’Union sociale et politique des femmes que présidait Emmeline Pankhurst. Le rôle en a été confié à Meryl Streep pour des apparitions dont la brièveté est justifiée par les très lourdes menaces d’emprisonnement qui pesèrent à l’époque sur cette dirigeante du mouvement pour l’égalité des femmes, l’obligeant à un retrait de sa présence physique inversement proportionnel à sa force de conviction.
Toutes subissent le joug patriarcal
Attachés aux pas de Maud, nous rencontrerons quelques figures remarquables par l’ordinaire même du sort qui leur était fait. Ouvrières misérables qu’une grossesse privait de pain, bourgeoises qui ne pouvaient disposer de leur fortune, pharmacienne engagée dans une lutte qui ouvrirait aux générations futures de filles une émancipation intellectuelle et sociale dont elle fut privée (Helena Bonham Carter interprète cette Mrs Ellyn vouée de tout cœur à sa cause). Toutes subissent le joug patriarcal, ne disposant pas plus du droit de vote que de droits parentaux. Sarah Gavron pour autant ne dresse pas un tableau uniforme des situations décrites. Le plus lourd tribut est payé par les plus exploitées. Des personnages masculins mis en scène, maris ou policiers, le patron de la blanchisserie est le seul dessiné de manière univoque. Une séquence éloquente montre Maud, révoltée par la détresse qui oppresse l’une de ses camarades de combat et d’atelier, s’emparer de la gamine de cette dernière, contrainte au labeur dès ses 12 ans, pour la flanquer à la charge d’une autre camarade sur le perron de son hôtel particulier. Quelques touches de ces inégalités surgissent en utiles rappels sans perdre le fil des injustices majeures qui les accablaient toutes, l’imparfait n’étant pas forcément le temps adéquat.
La marche qui s’entame par les incertitudes de Maud se poursuivra par le biais de ses prises de conscience successives. La première lui viendra de ses propres paroles, simple témoignage de ses conditions d’existence exprimées sur un coup de hasard devant la Chambre des communes et le premier ministre, Lloyd George. Premières promesses d’une possible avancée vers le droit de vote des femmes, première trahison…
Lire la Suite & Plus => L’Humanité.fr