— Par Roland Sabra —
Yves Beaunesne, après des études en droit et lettres, se forme à l’Institut national supérieur des arts du spectacle de Bruxelles et au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris . Il débute sa carrière de metteur en scène en 1995 avec « Un mois à la campagne » d’Ivan Tourgueniev, récompensé par le prix Georges-Lerminier. Il crée ensuite des œuvres de Paul Claudel à la Comédie-Française et à la Colline. En 2002, il fonde la Manufacture-Haute École de théâtre de Suisse romande et dirige le CDN de Poitou-Charentes de 2010 à 2020. Il enseigne dans diverses institutions prestigieuses et ses réalisations, dont « L’Annonce faite à Marie » de Claudel en 2014, sont saluées par la critique. C’est donc un metteur en scène chevronné, reconnu par l’ensemble du métier qui nous propose en 2020 sa lecture de la Maison de Bernarda Alba » jouée ce samedi 16 mars à Tropiques-Atrium à Fort- de-France.
Cette dernière pièce de Federico García Lorca, , fut rédigée en 1936 pendant son emprisonnement par les Phalangistes, juste avant son exécution. Censurée par le régime franquiste elle ne fut présentée en Espagne qu’en 1964. Cette œuvre critique les traditions et dépeint une Espagne répressive et étouffante, captive de ses croyances et superstitions. La pièce dénonce une société fanatique qui impose des règles strictes basées sur une interprétation rigide de la religion catholique et alimentée par l’obscurantisme.
Alors qu’’Odile Pedro Leail avait fait admirer, en 2021, au T.A.C., son adaptation et mise en scène, intemporelle et universaliste de « Bernarda Alba from Yana », Yves Beaunesne semble proposer une « re-contextualisation » du texte dans une Espagne qui aujourd’hui n’existe plus et dont personne, exceptée l’extrême droite, ne souhaite le retour.
Dans sa tentative de ressusciter l’œuvre intemporelle de Federico Garcia Lorca, « Bernarda Alba », Yves Beaunesne nous plonge dans une représentation théâtrale parsemée de choix audacieux, mais souvent discordants.
L’un des aspects les plus remarquables de cette production est l’incorporation de chants en espagnol, un ajout censé apporter une dimension émotionnelle supplémentaire à la pièce. Cependant, au lieu d’enrichir l’expérience théâtrale, ces interludes musicaux semblent souvent déconnectés du reste de la représentation, manquant de la profondeur nécessaire pour captiver véritablement le public. Bien que le désir de recréer l’atmosphère culturelle et musicale de l’Espagne de Lorca soit louable, la réalisation de cette vision laisse à désirer.
En outre, malgré les efforts déployés pour resituer la pièce dans son contexte historique et culturel, la mise en scène semble parfois manquer de substance. Les répliques censées susciter l’indignation du public sont souvent accueillies par des rires plutôt que par une réelle prise de conscience des enjeux sociaux et politiques sous-jacents. De même, le jeu des comédiennes, par moments récitatif, peine à insuffler de la vie et de la profondeur aux dialogues, rendant ainsi les personnages moins saisissants et l’intrigue moins captivante.
Les pauses et les silences, censés souligner le poids du deuil et de l’oppression qui imprègnent la pièce, semblent parfois maladroits et artificiels, ne parvenant pas à immerger pleinement le public dans l’univers sombre et étouffant de Bernarda Alba. Plutôt que de renforcer l’atmosphère de tension et de désespoir, ces moments semblent souvent diluer l’impact émotionnel de la représentation.
Comparée à d’autres œuvres contemporaines abordant des thèmes similaires, telles que le film « La Mère de tous les mensonges » d’Asmae El Moudir, la représentation de « Bernarda Alba » semble parfois désuète et déconnectée des réalités contemporaines. Alors que Lorca dénonce l’oppression des femmes dans une société patriarcale, la mise en scène de Beaunesne peine parfois à saisir pleinement la complexité de ces enjeux, offrant ainsi une vision partielle et superficielle de l’œuvre originale.
Bien que » La Maison de Bernarda Alba » puisse offrir une réflexion pertinente sur les défis persistants auxquels sont confrontées les femmes à travers le monde, la mise en scène de Beaunesne semble parfois figée dans une vision archaïque et dépassée. Au lieu d’embrasser pleinement la pertinence et l’urgence des thèmes abordés par Lorca, cette représentation semble parfois s’égarer dans des choix esthétiques et narratifs discutables, limitant ainsi son impact émotionnel et intellectuel sur le public.
R.S.