« La machine à beauté » ou l’éloge de la différence

Machine à beauté2— Par Roland Sabra —

Catou Clin d’oeil, photographe, lors de l’inauguration de son studio rue de lent a Trapéziste, annonce qu’elle offrira gratuitement de prendre en photo quiconque se présentera à son magasin. Aussitôt dit, aussitôt fait voilà hommes et femmes devant leurs portraits sur lesquels ils ne relèvent que leurs défauts. Ils se voient plutôt laids. Arrive alors un scientifique, Arsène Clou, qui leur propose de passer dans une » « machine à »beauté » de son invention pour les embellir, ce qu’ils acceptent. Mais voilà la machine n’offre qu’un type de beauté par sexe, modèle unique qui transforme les villageois en clônes d’un modèle abstrait enfermé dans la machine. Domine alors le monde du même, de l’identique. On l’aura compris la machine à beauté est en réalité une machine à fabriquer de l’uniforme. Une machine diabolique et mortifère qui traque la singularité. Pauline le chef policier emprisonne son subordonné Jean Betterave dont elle pense qu’il s’agit d’un imposteur ayant enfilé les habits du véritable Jean Betterave. Joséphat Pavillon, le Maire, ne reconnait plus la chapelière Zézette qui est pourtant son épouse. Les couples se défont, « …maintenant que je suis belle, tu n’es pas assez beau pour moi« ; Béatrice Cheminée, lectrice de nouvelles à Radio-Canada, ne veut que du beau jusques et y compris dans son assiette : elle propose de ne manger que du beau maïs. Sa proposition est l’objet d’une loi municipale adopté à l’unanimité. D’autres mesures législatives concernant tous les aspects de la vie publique et privée sont prises sur ce mode qui exclut tout débat puisque tous s’expriment comme un seul homme. De l’imbroglio on passe à la pagaille et de la pagaille à la désolation car il s’avère impossible de savoir qui est qui? Faire machine arrière? Il ne faut pas y penser : Arsène Clou a disparu. Comment sortir du piège?
La pièce est traitée sur un mode humoristique voire burlesque, les tensions, les mésententes, les disputes prêtent volontiers à rire. On l’aura compris le thème central de la pièce n’est pas la beauté. Elle n’est qu’une modalité d’approche drôle et rigolote d’un sujet on ne peut plus sérieux et autrement plus grave  qui n’est ni plus ni moins que celui du vaste continent de  l’ipséité et de l’altérité fondatrices de l’identité. Que serait un monde indifférencié, un monde dans le quel tout le monde ressemblerait à tout le monde, un monde fait de duplicata d’un modèle unique? Que cette pièce ait tourné dans bon nombre d’écoles en Martinique est de ce point de vue une excellente chose. L’uniforme lycéen composé du triptyque, baskets, jean et tee-shirt relève clairement de l’asservissement volontaire à des modèles socio-publicitaires. Effets de modes et dictature des codes, qu’ils soient musicaux, langagiers ou consuméristes, relèvent d’une réalité oppressante d’autant plus sournoise et efficace qu’elle est désirée. Qui n’a jamais vu dans son entourage un gamin refuser de porter une tenue trop originale avec cet argument : « Je vais me faire remarquer! »? L’adaptation de Robert Bellefeuille, du roman de Raymond Plante pose donc clairement le problème de la disparition des singularités qu’elles soient individuelles ou collectives, culturelles ou sociales   mais il le fait sur le mode drôlatique de la dérision et du rire.
Le travail présenté par Ricardo Miranda est une réussite. Il témoigne de l’existence d’une réelle direction d’acteurs sur le plateau à la fois exigeante et bienveillante. Cinq comédiens endossent une dizaine de rôles derrière des masques particulièrement soignés dans leur dessin et leurs couleurs rehaussées par le noir des costumes. Sobriété et élégance. Ce théâtre est un théâtre qui fait de l’expression corporelle un élément essentiel de ses modalités discursives. Entre pantomime et danse, entre démarche robotisée et ballet les comédiens explorent une large palette de possibilités avec une réelle souplesse qui laisse supposer un  apprentissage préalable conséquent. De ce point de vue le spectacle présenté est un des plus aboutis que le metteur en scène ait pu proposer depuis son installation en Martinique. La troupe peut jouer la pièce selon deux versions, une longue, celle que nous avons vue avec une ébauche de travail de lumières intéressant mais perfectible et une courte, moins sophistiquée certes mais plus facilement adaptable à des environnements précaires comme les préaux d’école, les salles des fêtes etc.. Le version longue a pour limites ce qui la caractérise : son adjectif. Une présentation plus ramassée, plus enlevée surtout en ce qui concerne la première moitié gagnerait en intensité et en rythme.

En somme, une création martiniquaise parfaitement adaptée à des salles pas trop grandes et qui mérite de voyager.

Pièce vue lors de sa captation à l’Atrium le 02/04/2015

Fort-de-France, le 02/04/2015

R.S.

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