— Par Sabrina Solar —
Dix-huit ans après le dépôt d’une première plainte qui a abouti à un non-lieu en janvier 2023, le combat pour réparer l’empoisonnement des Antilles françaises au chlordécone continue. Ce pesticide, largement utilisé dans les bananeraies entre 1972 et 1993 en Guadeloupe et en Martinique, demeure au cœur d’une nouvelle action en justice lancée le jeudi 21 mars.
La Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), en collaboration avec la Ligue des droits de l’homme et l’association antillaise Kimbé Rèd FWI, a déposé une réclamation collective auprès du Comité européen des droits sociaux à l’encontre de la France. Cette démarche vise à dénoncer la violation du droit à l’eau potable et à l’assainissement en Guadeloupe, ainsi que la pollution au chlordécone, considérée comme une atteinte au droit à la santé.
Le fondement de cette action contre l’État français repose sur la Charte sociale européenne, un traité du Conseil de l’Europe garantissant le respect des droits économiques et sociaux fondamentaux, dont la santé et la non-discrimination. Toutefois, la recevabilité du recours reste une question épineuse, car la Charte sociale européenne, bien que ratifiée par la France, ne spécifie pas explicitement son application aux territoires ultramarins.
Le dossier déposé met en lumière plusieurs problématiques majeures. Tout d’abord, il souligne la privation d’eau potable touchant plus de 380 000 personnes en Guadeloupe, résultant à la fois de coupures chroniques du réseau de distribution et de la pollution de l’eau par le chlordécone. En effet, jusqu’à 80 % de l’eau produite en Guadeloupe est perdue en raison de fuites dans les réseaux, et même lorsque disponible, elle n’est pas potable en raison de la vétusté des canalisations et de la pollution au chlordécone.
De plus, le dossier met en lumière l’empoisonnement persistant au chlordécone des populations des Antilles françaises, touchant plus de 665 000 personnes dont la santé est exposée aux conséquences néfastes de ce pesticide. Malgré les alertes de l’Organisation mondiale de la santé dès 1979, le chlordécone n’a été interdit en France qu’en 1990 et a continué d’être utilisé aux Antilles françaises par dérogation ministérielle jusqu’en 1993. Cette inaction a eu des conséquences dévastatrices, avec plus de 90 % de la population adulte contaminée par le chlordécone, et des taux d’incidence de cancer de la prostate parmi les plus élevés au monde.
Face à cette situation alarmante, les associations demandent des mesures immédiates et concrètes de la part de l’État français. Elles appellent à des actions telles que la traçabilité systématique du chlordécone dans l’alimentation, des mesures de détoxification du corps humain pour les personnes exposées, et des efforts pour pallier les coupures d’eau et la non-potabilité de l’eau en Guadeloupe.
Malgré certains progrès, comme la reconnaissance par l’Assemblée nationale de la responsabilité de l’État dans le scandale du chlordécone, le chemin vers la justice environnementale et la réparation des préjudices reste long et ardu. La lenteur et l’insuffisance de la réponse de l’État français face à cette crise continuent de susciter l’indignation et la détermination des associations et des populations affectées.
Cette nouvelle action en justice souligne l’urgence d’agir pour mettre fin aux injustices environnementales et sanitaires persistantes aux Antilles françaises. Elle met en lumière les inégalités historiques entre les territoires d’outre-mer et l’Hexagone, et appelle à une reconnaissance et à un respect effectif des droits fondamentaux des Ultramarins.