— Par Sarha Fauré —
Six ans avant l’échéance de 2030, les tendances en matière de faim et d’insécurité alimentaire ne progressent pas suffisamment pour atteindre l’objectif de développement durable, qui vise à éliminer la faim et l’insécurité alimentaire. De même, les indicateurs des objectifs mondiaux de nutrition montrent que le monde n’est pas sur la bonne voie pour éradiquer toutes les formes de malnutrition . Actuellement, des milliards de personnes n’ont toujours pas accès à une alimentation nutritive, sûre et suffisante.
Cependant, il existe des raisons d’espérer. Les progrès réalisés dans de nombreux pays montrent qu’il est possible d’inverser ces tendances. Pour y parvenir, la mise en œuvre de politiques, d’investissements et de législations adéquates est essentielle, nécessitant un financement approprié pour la sécurité alimentaire et la nutrition. Malgré un large consensus sur la nécessité urgente d’augmenter les financements dans ce domaine, il n’existe pas encore de compréhension commune sur la façon dont ce financement devrait être défini et suivi. Un rapport récent a fourni une définition attendue du financement pour la sécurité alimentaire et la nutrition ainsi que des recommandations sur l’utilisation efficace des outils de financement innovants et les réformes nécessaires.
Responsabilité collective pour les objectifs de développement durable
L’atteinte des Objectifs de Développement Durable (ODD) est une responsabilité collective impliquant tous les pays. Nos cinq organisations soutiennent des efforts transformateurs pour parvenir à un monde exempt de faim, d’insécurité alimentaire et de malnutrition sous toutes ses formes d’ici 2030. Bien que des progrès aient été réalisés, ceux-ci restent inégaux et insuffisants. Des améliorations sont observées dans certains pays plus peuplés et à économie croissante, mais la faim, l’insécurité alimentaire et la malnutrition continuent d’augmenter dans de nombreuses régions, touchant particulièrement les populations rurales où la pauvreté extrême et l’insécurité alimentaire sont profondément enracinées.
Les populations vulnérables, notamment les femmes, les jeunes et les peuples autochtones, sont disproportionnellement affectées. Si les tendances actuelles se poursuivent, d’ici 2030, des millions de personnes resteront sous-alimentées et des millions d’enfants continueront de souffrir de malnutrition sous diverses formes. Les conflits, la variabilité et les extrêmes climatiques, les ralentissements économiques, le manque d’accès à des régimes alimentaires sains et abordables, des environnements alimentaires malsains et une inégalité persistante et élevée continuent de favoriser l’insécurité alimentaire et la malnutrition à travers le monde.
Une situation mondiale disparate
Selon un rapport de l’ONU, le nombre de personnes souffrant de la faim a augmenté en Afrique, s’est stabilisé en Asie et a diminué en Amérique latine et dans les Caraïbes. La faim touche environ 733 millions de personnes, soit plus de 9% de la population mondiale. Cette situation résulte de la persistance des conflits, des difficultés économiques et des conditions climatiques extrêmes. Depuis 2016-2017, l’insécurité alimentaire chronique s’étend, et la situation s’est fortement empirée avec la pandémie de Covid-19. Environ 2,3 milliards de personnes sont en situation d’insécurité alimentaire modérée ou grave, devant parfois sauter des repas. Plus d’un tiers de la population mondiale ne peut s’offrir une alimentation saine, ce qui inclut 72% des habitants des pays les plus pauvres.
En 2023, la faim dans le monde n’a pas reculé, avec des niveaux de sous-alimentation comparables à ceux de 2008-2009. Le nombre de 733 millions de personnes sous-alimentées correspond au milieu de la fourchette estimée par les organismes onusiens, se situant entre 713 millions et 757 millions. Cette moyenne, qui était restée stable ces trois dernières années, est désormais supérieure au niveau de 2019 (152 millions de personnes de plus souffrant de la faim). Si les tendances actuelles se confirment, environ 582 millions de personnes seront sous-alimentées de manière chronique en 2030, dont la moitié vivra en Afrique. Cette projection reflète une stagnation inquiétante des progrès depuis l’adoption des ODD en 2015.
Les causes profondes et les solutions nécessaires
Les principales causes de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition sont les conflits, les extrêmes climatiques, les ralentissements économiques, les inégalités persistantes et le manque d’accès à des régimes alimentaires sains. Pour remédier à cette situation, des politiques et des investissements pour transformer les systèmes agroalimentaires sont nécessaires. Ces mesures ont été identifiées dans des rapports précédents, mais leur mise en œuvre à grande échelle fait défaut, principalement en raison de l’insuffisance des financements et de l’inclusion financière.
Les pays les plus touchés par l’insécurité alimentaire et la malnutrition sont également ceux ayant le moins accès aux financements nécessaires. Nos cinq organisations se sont engagées à faire un état des lieux complet des financements disponibles et à estimer les besoins supplémentaires pour soutenir les politiques et les investissements requis pour lutter contre toutes les causes de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition. Ce rapport fournit une définition du financement pour la sécurité alimentaire et la nutrition et des directives pour sa mise en œuvre.
La réforme du financement pour la sécurité alimentaire et la nutrition
Pour lutter efficacement contre la faim, une réforme majeure du financement pour la sécurité alimentaire et la nutrition est nécessaire. Cela passe par une définition commune afin de garantir une coordination entre les donateurs, les agences internationales, les ONG et les fondations. Les estimations actuelles suggèrent qu’il faudrait entre 176 milliards et 3.975 milliards de dollars pour éradiquer la faim d’ici 2030. Les donateurs doivent mieux se coordonner, car le système actuel est très fragmenté et manque de consensus sur les priorités. Il est caractérisé par une prolifération d’acteurs menant des projets de court terme sans vision à long terme.
Le président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, a plaidé pour une « Alliance globale contre la faim et la pauvreté » durant la présidence brésilienne du G20, visant à trouver des moyens financiers communs pour lutter contre la faim. Luiz Inacio Lula da Silva a une crédibilité dans ce domaine grâce à ses programmes sociaux qui ont permis de sortir des millions de Brésiliens de la pauvreté durant ses deux premiers mandats (2003-2010). Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a également souligné l’urgence de résoudre cette crise, affirmant que « la faim n’a pas sa place au XXIe siècle ».
Une obligation morale
Il est urgent d’agir pour combler le fossé de financement pour la sécurité alimentaire et la nutrition. Les politiques, législations et interventions nécessaires pour éliminer la faim et garantir à tous l’accès à une alimentation sûre, nutritive et suffisante nécessitent une mobilisation significative des ressources. Ces actions sont non seulement un investissement pour l’avenir, mais une obligation morale. Les organisations s’engagent à promouvoir et à soutenir le développement de données pour une meilleure comptabilité mondiale des financements destinés à la sécurité alimentaire et à la nutrition. Le coût de l’inaction dépasse largement le coût des actions recommandées par ce rapport, et il n’y a plus de temps à perdre.
D’après The State of Food Security and Nutrition in the World 2024