La loi du 20 mai 1802 rétablit l’esclavage

La loi du 20 mai 1802 (30 floréal an X) est un retour sur les principes du décret du 4 février 1794 (16 pluviôse) qui avait aboli l’esclavage sur tous les territoires de la République française. Il faut constater que cette abolition n’a pas été effective dans plusieurs colonies françaises. La Réunion a entravé son application, la Martinique l’a refusée au terme d’une insurrection royaliste similaire à celle de Vendée. En effet, soulevée depuis le 16 septembre 1793, la Martinique signe, représentée par le planteur Louis-François Dubuc, un accord de soumission à la royauté anglaise (traité de Whitehall). Le 6 février 1794, les Anglais entament la conquête militaire de l’île qu’ils terminent le 21 mars 1794. Les planteurs martiniquais évitent donc ainsi l’abolition effective de l’esclavage sur leur territoire.

La loi du 20 mai 1802 concerne explicitement les territoires qui n’ont pas appliqué la loi abolitionniste du 4 février 1794, elle est liée au traité d’Amiens du 26 mars 1802 qui restitue la Martinique, Tobago et Sainte-Lucie à la France. En conséquence, elle ne s’applique en théorie ni à la Guadeloupe, ni à la Guyane, ni à Saint-Domingue. Il est donc erroné de considérer, comme il est très fréquent, qu’elle concerne un rétablissement général de l’esclavage. Le rétablissement de l’esclavage en Guadeloupe, d’abord imposé militairement et illégalement par le général Richepanse, sera ensuite officialisé par une autre mesure législative, l’arrêté consulaire du 16 juillet 1802 (27 messidor an X), longtemps ignoré de l’historiographie, et dont l’original n’a été découvert qu’en 2007 dans les Archives nationales. En Guyane, ce sera fait par un arrêté consulaire du 7 décembre suivant, complété par un arrêté local de Victor Hugues du 24 avril 1803.

Enfin, la loi du 20 mai 1802 n’a pas eu d’effet à Saint-Domingue, où l’esclavage a été aboli par les proclamations locales de Sonthonax et Polverel depuis 1793, sauf, de concert avec la nouvelle du rétablissement de l’esclavage en Guadeloupe, celui d’accélérer l’évolution de cette colonie vers l’indépendance, devenue effective le 1er janvier 18043.

La France demeure à ce jour le seul pays ayant juridiquement rétabli l’esclavage, et par conséquent le seul pays à avoir vu passer deux abolitions de l’esclavage.

Préambule

L’intérêt de ce préambule est de comprendre le contexte historique dans laquelle s’inscrit la loi du 20 mai 1802 et d’éviter les erreurs d’interprétation concernant la volonté de Bonaparte.

Une première abolition limitée dans les faits
Le 4 février 1794, l’assemblée de la Convention avait voté un décret abolissant l’esclavage dans les colonies françaises, mais cette décision avait été finalement peu appliquée.

Dans l’océan Indien, les colons de l’île de la Réunion et de l’île de France (aujourd’hui l’île Maurice) se sont opposés à l’application du décret et ont conservé leurs esclaves.

L’île de Martinique, quant à elle, fut occupée par les Anglais. Les planteurs ont donc pu conserver leurs esclaves avec la complicité de l’occupant.

La décision ne fut finalement appliquée qu’en Guadeloupe et à Saint-Domingue (aujourd’hui Haïti) lorsque Toussaint Louverture chassa les Anglais en octobre 1798.

Néanmoins, à Saint-Domingue, l’abolition de l’esclavage ne fut pas synonyme de liberté pour les populations concernées. En effet, comme l’explique historien Alain-Jacques Tornare : « on était simplement passé de l’esclavage au travail forcé ».

Napoléon Bonaparte s’est donc contenté de rétablir officiellement une situation qui existait déjà de fait dans certaines colonies ou simplement de remplacer les travaux forcés.

Influence du courant esclavagiste
Lorsque Napoléon devient Premier Consul en 1799, il n’a pas l’intention de revenir sur l’abolition de l’esclavage qui avait été décrété par la Convention en 1794. Selon l’historien Jean-Joël Brégeon, Napoléon n’était initialement pas favorable au rétablissement de l’esclavage et imaginait plutôt un nouveau statut transitoire adapté à chaque colonie.

Cependant, il ne fait guère de doutes qu’il existait des forces politiques puissantes voulant un rétablissement général de l’esclavage (Club de l’hôtel de Massiac), et qu’elles sont parvenues à entraîner la décision de rétablissement de Bonaparte. Les troubles en Guadeloupe et à Saint-Domingue, la colonie la plus importante sur le plan économique, vont leur permettre d’appuyer leurs revendications. En 1802, tout un « parti créole » exige le retour des esclaves dans les plantations.

« Manipulé par le lobby esclavagiste, Bonaparte pense que la Guadeloupe est à feu et à sang – ce qui est faux – et que le rétablissement de l’ordre passe par le rétablissement de l’esclavage » explique l’historien Jean-François Niort.

Selon l’historien belge Hervé Hasquin, la majorité de l’opinion publique française était également favorable au rétablissement de l’esclavage. « L’esclavage avait été aboli par l’Assemblée nationale en 1794, mais la majorité de la société n’y était pas favorable. En rétablissant l’esclavage, Napoléon n’a fait que se rallier à l’opinion dominante et au lobby des planteurs dans les colonies » explique l’historien.

Des enjeux politiques et économiques
La position de Napoléon se caractérise plus par le pragmatisme que par une inclination « idéologique » dans un sens ou un autre. Comme l’explique Thierry Lentz, l’esclavage n’est dans l’esprit de Napoléon qu’un facteur de relance économique des îles antillaises. Il n’y a nul « racisme » dans sa démarche, mais de la froideur dans la prise de décision.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que la représentation (perception – intériorisation) de l’égalité des races ne se décrète pas. La Révolution française a lancé avec le principe des droits de l’homme une nouvelle vision dont la maturation au sein des populations ne peut qu’être lente et dont on peut se demander si elle est achevée.

Cet aspect n’a pas été ignoré des auteurs de la loi du 20 mai 1802 qui ont principalement argumenté sur des aspects économiques et de relations internationales.

Lorsque le général de division Toussaint Louverture fait établir une constitution qui proclame l’autonomie de Saint-Domingue et le nomme gouverneur à vie, Napoléon entre dans une grande colère. Percevant Toussaint Louverture comme dangereux, il envoie d’un corps expéditionnaire afin de mettre un terme à l’émancipation domingoise et le fait mettre aux arrêts.

Il fait également mettre en retraite anticipée le général métis Thomas Alexandre Dumas. Ceux-ci avaient dû leur promotion en France aux travaux incessants de la Société des amis des Noirs créée dès 1788 par Jacques Pierre Brissot avec l’appui, notamment, de l’abbé Grégoire et d’un philosophe comme Condorcet.

Le général Dumas sera mis à la retraite anticipée de l’armée par Bonaparte en 1802 alors qu’il n’avait que 40 ans. À partir de 1802, les chances de faire carrière dans l’armée française disparaissent pour les soldats et officiers noirs et métis. Quelques officiers « de couleur » n’ont pas été exclus de l’armée, par exemple le général de brigade Antoine Chanlatte, plus haut gradé parmi les officiers de couleurs après le général Dumas, l’adjudant-commandant Magloire Pélage qui sera jugé au retour de l’expédition en Guadeloupe, acquitté et mourra durant la guerre d’indépendance espagnole, ou encore le chef de brigade (équivalent de colonel) Joseph Damingue qui sera rétrogradé au rang de capitaine et acceptera le poste peu glorieux de commandant des Pionniers noirs qu’il transformera peu à peu en unité d’élite.

La tentative d’asservissement perpétrée entre 1802 et 1804 à Saint-Domingue et poursuivie jusqu’en 1848 dans les autres colonies françaises ont provoqué des massacres et des atrocités. En outre, on peut considérer qu’elle est une des sources du racisme moderne : sous l’Ancien Régime, le « préjugé de couleur » visait à créer une hiérarchie sociale justifiant l’esclavage, tandis qu’à partir du xixe siècle, ce qu’on appelle aujourd’hui « racisme » vise à exclure de la société, voire à exterminer.

Cette question de l’esclavage colonial a donné lieu en France à la loi mémorielle du 21 mai 2001. La question raciale sous-jacente est aussi un problème, elle assimile couramment les esclaves aux Noirs en se référant au seul commerce triangulaire qui a enrichi des personnes de toutes races. En effet, quantitativement ce sont les populations noires qui ont été les plus concernées parce qu’elles ont constitué une main-d’œuvre disponible à un moment historique, main d’œuvre que certains féodaux africains n’ont pas hésité à vendre dans une logique guerrière, et non raciale. Les royaumes africains qui pratiquaient un esclavage de guerre et de razzias entre eux, trouvèrent avec la traite atlantique un « débouché » qui augmenta ainsi le recours aux esclaves comme marchandise contre de l’or ou l’importation de produits européens. Les Européens furent cependant ceux qui mirent en place une hiérarchie des races, comme le montre l’emploi de termes racistes désignant les nuances de métissage. Ces termes restent aujourd’hui encore usités dans les territoires concernés malgré l’aspect colonial qui se dissimule derrière.

« AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS, BONAPARTE, premier Consul, PROCLAME loi de la République le décret suivant, rendu par le Corps législatif le 30 floréal an X, conformément à la proposition faite par le gouvernement le 27 dudit mois, communiquée au Tribunat le même jour.

DÉCRET.

ART. Ier Dans les colonies restituées à la France en exécution du traité d’Amiens, du 6 germinal an X, l’esclavage sera maintenu conformément aux lois et règlements antérieurs à 1789.

II. Il en sera de même dans les autres colonies françaises au-delà du cap de Bonne-Espérance (note d’édition : Les Mascareignes, c’est-à-dire principalement La Réunion et l’île Maurice).

III. La traite des noirs et leur importation dans les dites colonies, auront lieu, conformément aux lois et règlements existants avant ladite époque de 1789.

IV. Nonobstant toutes lois antérieures, le régime des colonies est soumis, pendant dix ans, aux règlements qui seront faits par le gouvernement. »

À l’occasion du bicentenaire de la mort de Napoléon Ier en 2021, le décret du 20 mai 1802 ainsi que l’arrêté consulaire du 16 juillet 1802, qui rétablit l’esclavage en Guadeloupe, sont présentés au public dans le cadre d’une grande exposition sur Napoléon à la Grande halle de la Villette.

 

Lire la suite => Wikipedia