— Par France Inter. Article publié le 30 octobre 2020 —
Ariane Ascaride jouait depuis la rentrée Le dernier jour du jeûne, de Simon Abkarian, au Théâtre de Paris. Confinement oblige, le théâtre ferme et les représentations s’arrêtent. Après avoir vidé sa loge, Ariane Ascaride a pris sa plume.
Monsieur le Président,
Je sais. Vous êtes au four et au moulin et ma lettre ne pèse pas bien lourd face à cette marée épidémique. Mais je ne peux pas m’empêcher de l’écrire.
Monsieur le Président, hier soir devant ma télé je vous écoutais avec une grande attention, mon espoir bien avant l’allocution était réduit à néant, mais ce qui fait un trou à mon âme est l’absence dans votre discours du mot culture.
Pas une fois il n’a été prononcé… nous sommes la France, Monsieur, pays reconnu par le monde entier et envié par tous pour la présence de sa créativité culturelle, la peinture, la musique, la littérature, la danse l’architecture, le cinéma, le théâtre (vous remarquez : je cite mon outil de travail en dernier), tous ces arts sont dans ce pays des lettres de noblesse que les hommes et les femmes du monde admirent.
C’est un pays où marcher dans les villes raconte l’histoire du monde, où la parole dans les cinémas et les théâtres apaise, réjouit, porte à la réflexion et au rêve ces anonymes qui s’assoient dans le noir pour respirer ensemble un temps donné. Nous sommes indispensables à l’âme humaine, nous aidons à la soigner, je ne parle même pas de tout le travail que nous faisons avec les psychiatres .
Nous sommes des fous, des trublions, mais tous les rois en ont toujours eu besoin.
Et hier soir, silence total… Je pensais à Mozart hier soir, au fond le regard des dirigeants n’a pas tellement changé et ça me désespère. Nous faisons du bruit, nous parlons et rions fort, nous dérangeons certes, mais sans nous, l’expression de la vie est réduite à néant.
Aujourd’hui je suis perdue. Je sais, je veux le croire, les lieux de culture ouvriront à nouveau et on pourra retourner dans les librairies acheter un livre que l’on glissera dans la poche de son manteau comme un porte-bonheur, un porte-vie .
Hier soir, quelque chose s’est brisé dans mon cœur. Je ne sais pas bien quoi. Peut-être l’espérance.
Et c’est terrible pour moi, car c’est l’espérance d’écrire un beau livre, de construire un bel édifice, de faire entendre un texte magnifique, de peindre l’aura des humains, de faire chanter et danser nos spectateurs, qui nous poussent tous à travailler comme des fous, à faire des sacrifices de salaire, des sacrifices familiaux. Demandez à nos familles ce qu’elles acceptent parfois pour que nous puissions donner de la joie à ces anonymes .
Voilà Monsieur le Président, je ne pouvais pas me taire. Moi, votre silence m’a démolie. Mais je me relèverai et mes amis aussi. Je voulais juste que vous mesuriez avec cet oubli combien vous vous avez écorché les rêves de ceux qui font rêver et se sentir vivant.
Avec toutes mes salutations respectueuses,
Ariane Ascaride
Courte biographie d’une actrice talentueuse et engagée (d’après le site Purepeople)
Ariane Ascaride est née le 10 octobre 1954 à Marseille. Son père, fils d’un immigré napolitain, qui exerce son emploi de représentant chez L’Oréal, s’adonne au théâtre amateur qu’il fait découvrir dès leur plus jeune âge à ses trois enfants, Ariane, Pierre et Gilles. C’est à l’université d’Aix-en-Provence, où Ariane Ascaride étudie la sociologie et rejoint les rangs de l’UNEF qu’elle fait la rencontre de Robert Guédiguian, qui deviendra par la suite son metteur en scène attitré, en plus d’être son mari et le père de ses deux filles.
Après avoir suivi les classes d’Antoine Vitez et de Marcel Bluwal au Conservatoire national d’art dramatique de Paris, Ariane Ascaride fait ses débuts sur les planches sous la direction de son frère, Pierre Ascaride. En parallèle, elle fait ses premières apparitions au cinéma. En 1977, elle obtient son premier rôle dans La Communion Solennelle de René Féret.
À partir des années 1980, Ariane Ascaride est de tous les films de son mari Robert Guédiguian. Elle gagne le coeur du public grâce à Marius et Jeannette en 1997, film qui lui vaut le César de la meilleur actrice l’année suivante. Plus récemment, on l’a vue en 2019 dans Gloria Mundi au cinéma, et au théâtre du Lucernaire à Paris dans Il y aura la jeunesse d’aimer, de Louis Aragon et Elsa Triolet ( mise en scène de Didier Bezace).
Ariane Ascaride tourne également sous la direction d’autres réalisateurs, comme Dominique Cabrera dans Nadia et les Hippopotames, ou Eléonore Faucher dans Brodeuses. Mais elle n’oublie pas pour autant le théâtre où elle se produit régulièrement. En 2005, elle fait également ses débuts dans la mise en scène pour une pièce aux accents fortement autobiographiques, de et avec son frère Pierre Ascaride, Inutile de Tuer Son Père, Le Monde S’en Charge.
Fort-de-France, le 30 octobre 2020