— Par Jean-Marie Nol, économiste —
Depuis quelques mois, la Martinique s’embrase en marge du mouvement des activistes nationalistes rouge-vert-noir dans une dérive antivax . Émeutes, pillages, incendies criminels d’un vaccinodrome et très récemment d’un centre de la poste avec la destruction de 25 véhicules , menaces envers les médecins, et pour couronner le tout, injures et insultes à l’aéroport envers les soignants de la réserve sanitaire venus de la France hexagonale pour aider à désengorger le CHUM : déjà quelques années que l’île est le théâtre d’une flambée de violences diverses. Pourquoi une telle inflation de violence ? Est il besoin de souligner à l’attention de certains esprits critiques que la Martinique est actuellement le seul territoire français d’outre-mer à connaître ce type de désagréments. Certains font valoir que la résurgence du débat sur la vaccination vise peut-être à faire oublier les effets sociaux de la crise économique engendrée par la COVID-19. L’explication demeure insuffisante. Cette disjonction entre « l’obligation vaccinale » et les questions sociales et économiques est cruciale pour comprendre le débat actuel en Martinique. Faut-il pour autant relativiser ces événements sous prétexte que ces faits sont commis par une poignée d’individus , que l’immense majorité de la population désapprouve, même si bien sûr elle demeure passive ?. Nous ne le pensons pas, parce que les germes de la décomposition de la société Martiniquaise ne sont pas circonscrits à une petite minorité de la population. Le mal est beaucoup plus profond qu’on l’imagine et là réside le véritable piège, parce que l’outrance est populaire. Si c’est le mouvement des activistes rouge-vert-noir qui a mis le feu aux poudres, le malaise est beaucoup plus profond avec les antivax , car c’est tout le contexte économique et social de la Martinique qui ne va pas aujourd’hui . Ce climat délétère en Martinique est l’expression d’un profond malaise identitaire, d’une quasi faillite économique et sociale généralisée et d’une démission des élus locaux doublée d’une impuissance de l’Etat à rétablir l’ordre et l’autorité.
En l’absence d’un véritable traitement politique de cette crise, ce n’est pas seulement l’économie martiniquaise qui risque de se retrouver à terre, mais sa société. Car à la lassitude et à la résignation de la population, s’accompagne depuis peu une forme de populisme, de culturalisme, de racialisme, d’ethnicisation des violences , d’un sentiment d’impunité des activistes , soutenue par certains médias officiels ou non, et discrètement par certains politiques martiniquais. La crise du coronavirus a conduit à un repli sur soi et à un réveil des cicatrices du passé colonial . Populisme et nationalisme sont aujourd’hui les deux facettes d’un même malaise identitaire martiniquais.
C’est là une situation incompréhensible, car comment ne pas comprendre que la Martinique risque aujourd’hui de voir imploser sa société déjà bien fragilisée par le chômage et la précarité, et dont les antivax et les dits activistes rouge-vert-noir n’en sont qu’une expression ?… La crise identitaire en Martinique a des sources historiques, politiques et sociales spécifiques. Elle ne s’inscrit pas moins dans un contexte plus global que l’on peut résumer ainsi. A l’heure de la mondialisation, comment concilier l’exigence rationnelle de souveraineté politique et économique comme le veut Serge Letchimy le président de la CTM et le rejet émotionnel d’une citoyenneté française. Le paradoxe est que certains, par un mélange de ressentiment et d’aveuglement, se lancent dans la quête chimérique et anachronique d’une identité toujours plus étroite. Dans ces conditions, les discours de condamnation et en même temps d’apaisement des élus portent en germe leur propre échec, puisqu’ils prétendent faire disparaître des comportements déviants sur lesquels ils n’ont de prise qu’à la marge. Même si le préfet, certains élus , des intellectuels et des associations de médecins protestent contre l’outrance des activistes, il n’en demeure pas moins que depuis une dizaine d’années, les lieux et les acteurs changent, mais la trame reste étonnamment semblable. Rien n’a donc été fait pour apaiser le climat social ?… La seule issue reste la surenchère sécuritaire , mais celle-ci expose aux critiques d’une population qui avec son atavisme peut sans difficulté mettre en regard les discours et les résultats. Aux traditionnelles complaintes contre les juges qui relâcheraient les activistes sitôt ceux-ci arrêtés pour ne pas alourdir le climat social, s’ajoutent désormais des expressions comme « puits sans fond » ou « travail de Sisyphe ». En effet le problème semble insoluble en l’absence d’une réforme du modèle économique et social de la Martinique. Alors la solution peut-elle être également d’ordre politique ? Quid d’une réforme statutaire pour purger le malaise identitaire de la Martinique ?… Mais aussi tentante que soit cette possibilité, il s’avère que malgré tout, les choses ne sont pas aussi si simple car la pandémie de Covid nous conduit à la décroissance de l’économie . Faut-il pour autant avoir peur de la décroissance, ce terme qui en période d’augmentation des inégalités suggère une réduction des transferts financiers, des aides et subventions ainsi que des moyens de vivre alors que de nombreuses personnes peinent déjà à boucler leurs fins de mois ? ….toujours est-il que la fin de la croissance pose un diagnostic dérangeant sur le plan d’une autonomie politique : L’endettement record des collectivités locales et des entreprises pourrait faire dérailler le scénario. Entreprises, banques et autres institutions financières, collectivités locales … les sources de vulnérabilités sont nombreuses dans le paysage économique de la Martinique . Le risque majeur étant celui d’une déstabilisation des institutions qui se répandrait à l’ensemble du système. D’un point de vue économique et social , nous sommes parvenus à un tournant décisif de l’Histoire de la Martinique . Le dysfonctionnement de la société Martiniquaise , la montée des inégalités sociales, l’éloignement toujours plus grand entre les « élites » nationales ou européennes et le « peuple martiniquais », vont conduire à un repli identitaire sur soi-même qui se concentrera désormais sur le « plus grand dénominateur commun ». Aujourd’hui, nous devons faire face à une propagande diffuse qui épouse les failles de notre société. Les théories conspirationnistes en sont le parfait exemple. Cette propagande s’immisce là où elle peut réussir en terme de radicalisation des esprits . Et là réside le véritable danger d’un futur chaos en cas de crise financière post Covid-19 !
Jean-Marie Nol, économiste