— Par Sophie Joubert —
« Les Grands », de Sylvain Prudhomme, un roman qui raconte l’histoire
de la Guinée-Bissau à travers
un groupe de musiciens mythique, vient de recevoir le Prix de la porte dorée*.
Le Super Mama Djombo est né peu après l’indépendance de la Guinée-Bissau, petit pays d’Afrique de l’Ouest, frontalier du Sénégal et de la Guinée Conakry, qui s’est libéré en 1974 de la domination portugaise. La formation a connu son âge d’or entre 1977 et 1981, portant la fierté nationale lors de mémorables tournées à l’étranger où elle a notamment chanté la gloire d’Amilcar Cabral, le Commandante, figure de la libération du pays. Le Super Mama Djombo existe toujours, certains membres ont disparu, d’autres se sont exilés en France ou au Portugal. Mélangeant réalité et fiction, Sylvain Prudhomme s’est approprié les noms des musiciens pour en faire des héros de roman. Seul le personnage principal, Couto, grand patron de la guitare, « mélange d’ancienne gloire grisonnante et de branleur impénitent », est inventé. Les Grands commence aujourd’hui, en avril 2012, à la veille d’un coup d’État bien réel qui a secoué le pays. Ce jour-là, Couto apprend la mort de Dulce, son ancienne amante et magnifique chanteuse, « l’arme secrète » du Super Mama Djombo. Des années auparavant, elle l’a quitté pour Gomes, un homme puissant devenu général et chef d’état-major des armées. Alors que la tension politique monte et que le groupe prépare un concert forcément unique, Couto quitte les bras rassurants d’Esperança, sa nouvelle amoureuse, pour entamer un périple géographique et temporel qui va le conduire vers la dépouille de Dulce et déroule en chemin le fil de ses souvenirs. Sylvain Prudhomme écrit la traversée de la ville comme un lent travelling qui prend le temps d’observer les paysages. La narration au présent est entrecoupée de fondus enchaînés qui renvoient aux années 1970, retracent l’histoire du groupe et les parcours individuels de ses membres. Ces allers et retours entre passé et présent questionnent aussi les changements politiques survenus dans le pays depuis l’indépendance et la puissance fédératrice de la musique populaire. « Les Grands » est le surnom donné aux musiciens du Super Mama Djombo par de jeunes rappeurs en colère, la nouvelle génération qui toise ses aînés avec un mélange de défi et d’admiration. Élégante et chaloupée, la langue de Sylvain Prudhomme est métissée avec le créole de Guinée-Bissau, « magnifiquement elliptique ». Fluide, sensuel et nostalgique comme une chanson, les Grands est un tombeau pour la belle Dulce, un hymne à l’amour et à la musique, indifférent aux tirs de roquettes qui résonnent au loin.
Feuilleter le livre
Lire et écouter la réaction de Sylvain Prudhomme à la réception de son prix