La Jamaïque en route vers la république : un projet de loi pour remplacer le roi Charles III par un président jamaïcain

— Sabrina Solar —

La Jamaïque se prépare à franchir une étape historique en annonçant son intention de devenir une république, un projet qui pourrait signifier la fin de la monarchie constitutionnelle après plus de six décennies. Le 5 décembre 2024, le gouvernement jamaïcain a présenté un projet de loi visant à abolir la monarchie et à remplacer le roi Charles III par un président jamaïcain en tant que chef d’État. Ce changement, longuement débattu, marque une volonté forte de la part des autorités jamaïcaines de se détacher définitivement de la couronne britannique, un processus qui s’inscrit dans une dynamique de républicanisme croissante dans les Caraïbes.

Un changement mûri et symbolique

Bien que la monarchie en Jamaïque soit un rôle essentiellement cérémonial, son maintien est perçu par de nombreux citoyens comme un vestige du colonialisme britannique. Depuis l’indépendance du pays en 1962, la Jamaïque conserve le monarque britannique comme chef d’État, un arrangement souvent jugé incompatible avec l’idéal d’une nation pleinement souveraine. La ministre des Affaires juridiques et constitutionnelles, Marlene Malahoo Forte, a expliqué que la présentation de ce projet de loi répondait à une volonté populaire exprimée chaque année lors des célébrations de l’indépendance. « Chaque année, nous posons la question : quand allons-nous abolir la monarchie et avoir un chef d’État jamaïcain ? » a-t-elle déclaré, soulignant que le temps était enfin venu de faire ce changement.

Un processus législatif complexe mais déterminé

Le projet de loi, intitulé « Amendement de la Constitution (République de Jamaïque) », marque une rupture avec plusieurs siècles d’histoire, héritée de l’empire colonial britannique. Toutefois, la route vers la république sera semée d’embûches. Après la présentation du texte au Parlement, celui-ci devra passer par plusieurs étapes, notamment un examen par des commissions mixtes, un vote au Parlement, puis un référendum national. Pour que le projet aboutisse, il doit être adopté à la majorité des deux tiers dans les deux chambres législatives. Ce processus pourrait prendre jusqu’à la fin 2025, avec un objectif de finaliser la transition avant les élections générales prévues dans le même délai.

Le Premier ministre Andrew Holness a réaffirmé sa détermination à faire aboutir cette réforme, soulignant que la Jamaïque devait désormais s’émanciper totalement de la monarchie britannique. Lors de sa campagne électorale en 2016, il avait déjà promis de transformer la Jamaïque en république. La démarche s’inscrit dans une longue tradition de revendications caribéennes pour une émancipation totale, la Barbade ayant fait un premier pas symbolique en 2021 en devenant une république.

La dimension symbolique et identitaire de la réforme

Pour les Jamaïcains, cette transition représente bien plus qu’un simple changement institutionnel : c’est un acte de souveraineté et d’affirmation de leur identité post-coloniale. Alors que beaucoup avaient une affection particulière pour la reine Elizabeth II, décédée en 2022, les Jamaïcains ne s’identifient pas au roi Charles III, qu’ils considèrent comme un symbole lointain de l’ancien empire. La ministre Marlene Malahoo Forte a ainsi souligné que la monarchie britannique ne correspondait plus à l’image moderne de la Jamaïque, un pays résolument tourné vers l’avenir.

Le référendum, qui décidera de l’issue de cette réforme, pourrait voir un soutien populaire croissant pour la république. Selon un sondage de l’année dernière, près de 45 % des Jamaïcains se sont prononcés en faveur du changement, contre 26 % pour le maintien de la monarchie. Ce soutien populaire reflète un désir général de tournant historique et d’affirmation de l’identité nationale.

Une évolution qui se place dans un contexte régional

Le processus de transformation de la Jamaïque en république s’inscrit dans un mouvement plus large au sein des Caraïbes. D’autres anciennes colonies britanniques, comme la Barbade, ont déjà franchi ce pas, et plusieurs autres nations des Caraïbes, telles que les Bahamas ou Antigua-et-Barbuda, ont exprimé leur volonté de suivre cette voie. Ce phénomène témoigne d’une volonté commune dans la région de rompre avec les derniers vestiges de la domination coloniale et de se réapproprier leur destin en tant que républiques souveraines.

Un avenir républicain pour la Jamaïque

Si la réforme est adoptée, la Jamaïque rejoindra ainsi un nombre croissant de pays qui ont choisi de tourner définitivement la page de la monarchie britannique. Cela marquera non seulement une avancée politique majeure pour l’île, mais aussi un message fort adressé à l’ensemble de la région caribéenne : celle d’une indépendance pleinement assumée. Le projet de loi jamaïcain met en lumière une volonté nationale de s’affranchir d’une institution monarchique perçue comme un héritage du passé colonial et de préparer l’île à un avenir républicain où la souveraineté et l’identité jamaïcaines seront pleinement incarnées par un président élu par le peuple.