— Par Jean Roger —
Karukera
L’île aux belles eaux est un joyau posé au milieu de l’arc des Petites Antilles. Une nature incroyable, une forêt majestueuse, un volcan menaçant, des récifs coralliens riches, des mangroves impénétrables, des centaines d’espèces animales et végétales, une biodiversité éclatante en somme.
Malheureusement, quand on gratte un peu sous ce vernis idyllique, c’est loin d’être rose. C’est même plutôt gris, sale, désolant.
Car l’île papillon ne s’est pas développée sans dégâts colatéraux: atteignant une population de plus de 403000 âmes au 1er janvier 2014 (c’est à dire le double de sa population en 1950) sur un territoire de seulement 1704 km² (densité de population de 236 hab/km² pour 118 hab/km² en France métropolitaine), qui (sur-)consomme, se déplace, et il faut l’avouer, a d’autres préoccupations que la protection de son environnement, il fallait s’attendre à ce que cela pose de sérieux problèmes, sociaux, économiques, environnementaux. Dans le cadre de cet écrit, nous nous limiterons à la seule question environnementale.
Prenons la route et rendons-nous à la plage.
Outre les interminables bouchons de ciculation liés à un manque évident de transports en commun (nous ne sommes qu’au XXIème siècle…) et une politique d’importation de véhicules désastreuse (toujours plus!!), on découvre des déchets éparpillés sur les bas côtés des axes routiers ainsi que des dizaines et des dizaines de TAS de déchets répartis çà et là sur le territoire insulaire. Les mairies sont contactées et réagissent à leur rythme, mais à peine ces tas d’immondices ne sont-ils pas récoltés par les services communaux que les sites en question, bien souvent équippés de panneaux informant de l’interdiction de déposer des déchets, se retrouvent de nouveau souillés. Pourtant, les décheterie sont en accès libre. Pourtant, il a bien fallu charger le véhicule pour transporter les déchets, et les décharger ensuite. Pourtant il existe des sanctions intégrées au code pénal (Décret n° 2015-337 du 25 mars 2015 relatif à l’abandon d’ordures et autres objets). Certains poussent le vice en allant jusqu’à faire de la route exprès pour aller décharger leur cargaison en pleine nature (il suffit de se rappeler l’affaire de la route des Mamelles). Bref, dans quel but ?
Portfolio dramatique
Depuis quelques mois fleurissent sur la toîle des clichés révélant la réalité des paysages de l’archipel comme cette photo prise le 23/12/2014 à St Felix, commune du Gosier, une réalité qui fait du tort au tourisme, déjà mis à mal part les échouages massifs de sargasses, les grèves, les coupures d’eau et autre chikungunya.
L’arrivée sur une plage paradisiaque n’est pas beaucoup plus agréable que les bords de route: on y remarque vite les nombreux déchets apportés par la mer mais également edt surtout abandonnés volontairement par les visiteurs: couverts en plastiques, bougies, canettes, bouteilles, pailles, cigarettes, cordages, néons, et parfois même gros électroménager. L’excuse: « il n’y a pas de poubelles, la commune ne fait rien. » Ah d’accord, c’est encore la faute des autres, des communes surtout. Facile. Sous l’eau c’est le même topo, mais il paraît que les bouteilles font d’excellentes niches écologiques pour les poissons…
Mangroves, zones insalubres et inutiles
A une autre échelle, le coeur de la mangrove du Grand Cul-de-Sac Marin, mangrove réputée comme étant la plus grande des petites Antilles, abrite aussi la plus grosse décharge d’ordures ménagères de la Guadeloupe: la décharge de la Gabarre, 5 hectares d’imondices dans un véritable réservoir de biodiversité et écosystème fragile absolument indispensable au renouvellement des espèces marines dont certaines espèces commerciales. On touche le fond.
Go to the beach !!
A tout cela, on ajoute la (sur-)fréquentation des sites et on complète le tableau avec brio: en effet, ces mêmes plages sont prises d’assaut les week-ends et vacances scolaires par des cohortes de voitures, jets-ski à fond dans la bande des 300 m, speed boats beachés, la sono au maximum, les barbecue à même le sable et bien souvent alimentés par les arbres des forêts littorales protégées (par exemple sur la Pointe des Châteaux), beach parties nocturne en zones protégées, oursins prélevés sans égard pour les interdictions, etc. Même constat en rivière: musique, déchets, pièges à ouassous, etc., et bien souvent en plein coeur de parc national. What else ?
« Ah il y a encore des tortues en Guadeloupe ? »
Nous ne nous attarderons pas énormément sur la question de la chasse et du braconnage qui mériterait un article plus ciblé, mais il convient néanmoins d’indiquer que l’on continue à autoriser la chasse plusieurs mois de l’année sur un territoire densément peuplé, et sur lequel les ressources animales endémiques sont presques imperceptibles si on compare aux îles voisines. Il y a notamment la chasse d’une espèce protégée qui fait couler de l’encre tous les ans, celle de la grive à pieds jaunes, espèce classée vulnérable sur la liste IUCN mais dont la chasse est autorisée en Guadeloupe. En parallèle, le braconnage des tortues marines et de leurs oeufs se poursuit tranquillement, malgré les efforts de sensibilisation du Réseau Tortues Marines de Guadeloupe, les iguanes des Petites Antilles se font tuer à la Désirade, et les langoustes sont tirées au harpon à tout va. Concernant les habitats naturels, çà n’est pas mieux: les récifs coralliens et les herbiers sont malmenés, cassés, déplacés dans le cadre de projets aussi absurdes que pharaoniques, les forêts abattues en pleine frénésie de bétonisation, et on reparle de construire un téléphérique pour favoriser l’accès au sommet du massif de la Soufrière…
Incohérence…
Comment se fait-il que les autorités locales n’agissent pas plus en faveur de l’environnement et du respect des réglementations en matière de pollution, fréquentation, etc., et qu’il n’y ait pas une volonté clairement affichée d’agir pour que celà change ? On importe, encore et toujours plus et la production de déchets augmente, le recyclage est une activité très peu développée, les filières de production locales sont sporadiques et embryonnaires, les lois de la République sont appliquées avec du retard et des dérogations, pas ou peu de sanctions, l’impact anthropique sur les zones protégées est quasi-quotidien, etc.
A l’heure à laquelle l’archipel essaie de développer la filière touristique, et alors que les touristes demandent du tourisme vert avec un minimum d’impact environnemental, il y a une certaine incohérence de fonctionnement et le « Gwadloup an nou bel » n’est malheureusement plus vraiment de mise.