— Par Jean-Marie Nol, économiste —
Le vent du changement semble vouloir souffler sur l’archipel guadeloupéen, et avec lui, une proposition audacieuse : la fusion du département et de la région pour former une assemblée unique. Cependant, derrière cette idée en apparence prometteuse de simplification administrative se cachent des enjeux complexes de mise en œuvre d’une véritable autonomie de la Guadeloupe et des incertitudes profondes sur le maintien en l’état des transferts financiers de la France hexagonale qui devrait alimenter un débat polarisé de la sortie du cadre départemental au sein de la population lors du congrès des élus de juin prochain. En effet en aucun cas l’assemblée unique ne peut trouver de justification en dehors d’un processus d’autonomie de la Guadeloupe dans le cadre de l’actuel article 74 de la constitution. Vouloir faire croire que nous serions en présence d’une simple réforme administrative, c’est tromper la vigilance de la population Guadeloupéenne ( chat an sak ).
Depuis la réforme constitutionnelle de 2003, la Guadeloupe navigue entre les eaux troubles de son statut de département et de région d’outre-mer, régi par l’article 73 de la Constitution. Malgré une consultation locale en 2003 qui a rejeté l’évolution vers une assemblée unique, le débat refait surface, sous la houlette de Guy Losbar le président du conseil départemental , suscitant une opposition farouche de la part des syndicats et de nombreux citoyens. Depuis des décennies, la question de l’organisation administrative de la Guadeloupe a été au cœur des débats politiques locaux. Récemment, une proposition audacieuse a émergé, celle de fusionner le département et la région pour former une collectivité unique. Ce projet, porté par certains élus guadeloupéens, suscite à la fois l’intérêt et la controverse, soulevant des questions sur les implications et les motivations autonomistes derrière cette initiative. À l’origine de cette proposition se trouve la volonté de doter la Guadeloupe d’un cadre administratif mieux adapté à ses besoins spécifiques pour tendre vers un changement de statut d’autonomie. Pour ses partisans, la création d’une assemblée unique offrirait une plus grande cohérence dans la gestion des affaires publiques, en éliminant les doublons et en favorisant une prise de décision plus efficace. En outre, cela pourrait constituer un premier pas vers une domiciliation du pouvoir dans le cadre d’une plus grande autonomie de l’île, dans un contexte où de nombreux territoires d’outre-mer aspirent à davantage de compétences et d’indépendance administrative et politique.
Cependant, cette proposition ne va pas sans susciter des interrogations et des résistances. Certains craignent que la fusion des deux entités ne dilue la spécificité de la Guadeloupe en la fondant dans une entité administrative plus vaste. De plus, des préoccupations subsistent quant à l’impact financier d’une telle réforme, ainsi que sur la représentativité et la gouvernance de la nouvelle assemblée.
Du point de vue juridique, la mise en œuvre d’une telle réforme nécessiterait des modifications substantielles en matière de droit commun de la législation en vigueur de l’article 73 de la constitution , ainsi que des consultations approfondies avec les acteurs locaux et nationaux. Il faudrait également prendre en compte les spécificités géographiques, économiques et culturelles de la Guadeloupe pour garantir une transition harmonieuse vers un nouveau modèle administratif enchâssé dans un processus d’autonomie de la Guadeloupe. En outre, la question de l’acceptation populaire reste cruciale. Si certains citoyens voient d’un bon œil cette proposition comme une opportunité de rationaliser et moderniser les structures administratives de l’île, d’autres sont plus sceptiques, craignant les conséquences imprévues d’une telle réforme sur leur quotidien du fait d’un probable alourdissement des impôts locaux et des taxes à l’instar de ce qui s’est produit à l’île de saint Martin. L’argument phare avancé par le parti politique GUSR, selon lequel la fusion renforcerait les services publics, et donnerait plus de lisibilité aux politiques publiques est contesté à plusieurs niveaux. Tout d’abord, les deux entités existantes région et département ont prouvé leur efficacité au fil des ans en développant des compétences spécifiques et en offrant une gamme diversifiée de services de qualité à moindre coût. Fusionner ces structures risque d’effacer cette richesse accumulée sans garantir les économies d’échelles substantielles promises.
La précipitation avec laquelle ce projet est relancé semble déplacée, surtout dans un contexte où l’économie évolue rapidement avec l’avènement du numérique et surtout de l’intelligence artificielle dans un autre environnement de mutation où les ressources financières publiques se font de plus en plus rares. Une telle réforme inhérente à un processus d’autonomie pourrait s’avérer périlleuse, entraînant une bureaucratisation accrue et diluant les responsabilités, sans nécessairement améliorer l’efficacité des services publics.Les expériences passées en Martinique et en Guyane servent d’avertissement. Les difficultés de gouvernance, les problèmes financiers et les défis d’intégration des politiques publiques ont généré des tensions et des conflits internes, sans pour autant apporter les changements positifs espérés par certains citoyens.En outre, l’absence de réelle synergie entre les politiques publiques départementales et régionales constitue un motif d’inquiétude supplémentaire. La gestion des dépenses sociales en augmentation nécessite une approche spécialisée qui nécessite le maintien du conseil départemental , et qui pourrait être compromise par les spécificités des compétences attribuées à chaque entité. La question de l’identité culturelle et politique de la Guadeloupe est également au cœur du débat. Certains redoutent que la fusion ne dilue la spécificité guadeloupéenne au sein d’une entité administrative plus vaste, où les intérêts locaux pourraient être en fait relégués au second plan.
En somme, le débat autour de la fusion entre le département et la région de Guadeloupe sous tendu par une volonté d’aller vers plus de domiciliation du pouvoir local est crucial pour l’avenir de l’île. Alors que certains y voient une opportunité de modernisation et de rationalisation de l’administration publique, d’autres redoutent les conséquences néfastes d’une telle réforme surtout quand on constate l’évolution de la dérive du concept d’autonomie en Nouvelle Calédonie. En effet, depuis plusieurs décennies, la Nouvelle-Calédonie, un archipel du Pacifique Sud, est le théâtre de tensions ethniques et sociales profondes, exacerbées par des épisodes d’émeutes et de violence. Au cœur de ces antagonismes se trouve la question de l’autonomie de l’île, qui, malgré une large délégation de compétences, peine à répondre aux attentes des différentes communautés qui la composent.À l’origine de ces tensions se trouvent des divisions historiques et culturelles entre les Kanaks, peuple premier autochtone de l’île, et les Caldoches, descendants des colons européens. Depuis les années de colonisation, ces deux communautés entretiennent des relations antagonistes complexes, marquées par des injustices passées et des revendications identitaires divergentes. Malgré les accords de Nouméa en 1998, censés instaurer un dialogue et une coopération entre toutes les parties, les antagonismes persistent, parfois exacerbés par des enjeux économiques et territoriaux.L’autonomie accordée à la Nouvelle-Calédonie a été conçue comme une réponse à ces défis, offrant à l’île un large éventail de compétences dans des domaines tels que l’éducation, le social, la santé, l’environnement et l’économie.
Cependant, malgré ces pouvoirs étendus, l’autonomie n’a pas réussi à apaiser les tensions intercommunautaires ni à résoudre les problèmes structurels qui minent la société calédonienne.Sur le plan économique, la Nouvelle-Calédonie est confrontée à des défis majeurs, notamment la dépendance à l’industrie minière, principale source de revenus de l’île aujourd’hui en faillite. Les fluctuations des cours mondiaux du nickel ont un impact direct sur l’économie locale, exposant la fragilité d’un modèle économique largement dépendant d’une seule ressource. De plus, les inégalités sociales persistent, avec des disparités importantes entre les communautés kanak et caldoche en termes d’accès à l’emploi, au logement et aux services publics. Sur le plan social, les problèmes liés à la discrimination, à l’exclusion et à l’identité culturelle continuent de diviser la société calédonienne. Les revendications des communautés autochtones en matière de reconnaissance de leurs droits et de préservation de leur patrimoine culturel restent largement insatisfaites, alimentant un sentiment de frustration et de marginalisation notamment chez les jeunes kanaks. Face à ces défis, le modèle d’autonomie de la Nouvelle-Calédonie apparaît comme un échec relatif, incapable de résoudre les profondes fractures économiques et sociales qui traversent la société calédonienne.
Pour certains, cela soulève la nécessité de repenser le cadre institutionnel et politique de l’île, en envisageant de nouvelles formes de gouvernance et de dialogue intercommunautaire.Dans ce contexte, l’avenir de la Nouvelle-Calédonie demeure incertain. Alors que l’Accord de Nouméa arrive à échéance et que suite à la visite sur place du président Emmanuel Macron un possible référendum sur l’indépendance est prévisible dans le cadre d’un nouvel accord global, l’île est confrontée à un choix crucial : celui de poursuivre sur la voie de l’autonomie en cherchant à surmonter ses défis internes, ou celui de remettre en question son statut politique dans le cadre d’un processus de décolonisation plus large qui serait l’indépendance. Quelle que soit la voie choisie, une chose est certaine : l’autonomie de la Nouvelle-Calédonie n’a pas réussi à instaurer un climat de confiance voire de concorde entre les acteurs politiques et économiques de l’archipel et encore moins permis un développement harmonieux du territoire. Alors pour ce qui concerne la Guadeloupe,
Il est impératif que toutes les parties prenantes s’engagent dans un dialogue constructif afin de trouver des solutions dans le cadre du droit commun de l’article 73 de la constitution , qui bénéficient réellement à la population et à l’économie locale. Dans ce débat apparemment anodin d’une simple réforme administrative avec la création d’une assemblée unique se joue en filigrane un changement beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît avec en jeu l’avenir de la Guadeloupe en tant que collectivité territoriale autonome. En réalité la collectivité unique n’a de justification propre que dans un nouveau cadre d’autonomie pour la Guadeloupe. Les prochains mois seront cruciaux pour déterminer si cette proposition de fusion département-région deviendra une réalité ou restera une idée discutée au congrès des élus du 12 juin, mais jamais concrétisée. En attendant, les voix divergentes continueront à se faire entendre, dans un dialogue essentiel pour façonner le futur de l’île et de ses habitants.
Le prochain congrès des élus prévu en juin promet d’apporter de nouvelles perspectives sur cette question brûlante de l’autonomie de la Guadeloupe, qui continuera de façonner le paysage politique de la Guadeloupe dans les années à venir.
» Achté van pou vann lè »
traduction : Acheter du vent pour vendre de l’air. Moralité : Échanger un cheval borgne contre un cheval boiteux n’est pas la bonne solution pour être efficace en matière de productivité.
Jean-Marie Nol, économiste