— Par Jean-Marie Nol, économiste —
En Guadeloupe, nous vivons aujourd’hui à l’âge des paradoxes, car actuellement ce sont les syndicats qui tiennent le pavé, et demain, c’est la population guadeloupéenne qui brandira l’étendard de la révolte contre la pression fiscale.
Alors que le pouvoir d’achat des Guadeloupéens est en passe de diminuer avec la crise , que le chômage ne cesse de progresser et que les problèmes économiques et sociaux s’aggravent avec la pandémie du covid 19 , une faillite financière de nos collectivités locales se profilent à l’horizon, et pourtant les exécutifs des collectivités locales de Guadeloupe et le syndicat UTC UGTG persistent dans les obstructions à la négociation et les rodomontades stériles à propos de problèmes de déroulement des carrières du personnel communal , et ce alors même que les communes de Guadeloupe figurent déjà parmi les plus déficitaires et endettées de France . Les hommes et femmes de la Guadeloupe ne sont pas conscients qu’ils sont dans la situation d’un alpiniste qui est sur une paroi très raide et qui ne sent pas que les prises sont en train de lâcher : ont-t-il bien pris la mesure de la crise à venir en 2021 du fait de la crise financière de la dette, de la paupérisation de la classe moyenne, de la réduction probable des dotations de l’Etat, et de la progression inéluctable des dépenses notamment sur le plan social ?
Je me répète, mais voilà que depuis mars 2020 , le choc du coronavirus paralyse brutalement le monde entier. Voilà un an que le coronavirus perturbe notre quotidien. Sa présence secoue le système hospitalier, grippe l’activité économique et sature le débat public.
Ainsi , la voie de la reprise économique apparaît très incertaine, et vulnérable à une troisième vague de l’épidémie comme on peut le constater actuellement en France hexagonale.
Pour ce qui concerne l’économie guadeloupéenne, répétons le encore à satiété, elle s’est progressivement déséquilibrée au cours de ces derniers mois , terminant l’année 2020 avec des déficits jumeaux significatifs. Une politique budgétaire accommodante de l’Etat et de la région a soutenu la croissance et devrait continuer de le faire. Toutefois, la Guadeloupe n’échappera pas à une contagion du ralentissement économique lié à la pandémie. Le pays devrait basculer en récession en 2021 , alors même que sa croissance s’est déjà nettement amoindrie en 2020 . La crise devrait contraindre les banques à réduire fortement la voilure au niveau de la distribution du crédit aux Antilles, et cette nouvelle donne vaudra aussi pour les collectivités locales de Guadeloupe .
Malgré des recettes contraintes, les dépenses des collectivités vont continuer de progresser dangereusement en 2021 , principalement sous l’effet des dépenses de personnel . Lorsque ces dépenses de fonctionnement augmentent, elles diminuent d’autant la capacité d’autofinancement des collectivités , qui désigne l’excédent de recettes une fois acquittées les dépenses courantes. Or, c’est sur l’autofinancement que s’appuie l’essentiel de l’investissement des collectivités. Pour maintenir cet investissement, les exécutifs régionaux et communaux ont donc largement eu recours à l’emprunt depuis le début de la décennie.
Après avoir examiné dans le détail les finances des collectivités de Guadeloupe, ainsi que leurs évolutions au cours des dernières années , et à la lecture de ces données,on peut sans conteste affirmer que le constat est très préoccupant pour l’avenir notamment en raison de la pression fiscale qui devrait augmenter très fortement sur la classe moyenne .
Des prévisions désastreuses, avec pour conséquence de lourdes impositions pour les contribuables. La Cour des Comptes ne cesse d’actionner la sonnette d’alarme et de tirer à boulet rouge sur les collectivités locales de Guadeloupe .
Entre 2006 et 2019, les impôts locaux y ont augmenté à un rythme plus de trois fois supérieur à celui de l’inflation : + 58 % en moyenne par exemple en Guadeloupe pour les impôts fonciers et la taxe d’habitation.
On peut ainsi résumer le schéma à l’œuvre jusqu’à maintenant dans la plupart des collectivités locales de Guadeloupe : des dépenses en hausse, des recettes en baisse et, enfin, une progression de l’endettement et de l’imposition . C’est une impasse : le fonctionnement chasse l’investissement, la dette chasse la croissance..Est-ce à dire que les maires de Guadeloupe vont pouvoir envisager leur mandat sans aucune inquiétude pour les comptes de leurs collectivités ? Rien n’est moins sûr. Les tendances observées ces dernières années sont même sans équivoque : l’équation budgétaire se complique de plus en plus, car les dépenses progressent plus vite que les recettes, une situation d’autant plus préoccupante à nos yeux que les dotations de l’État et l’octroi de mer diminueront bientôt de plusieurs millions d’euros par an. Et ce que l’on appelle l’effet de ciseaux aura un impact désastreux pour les communes de Guadeloupe.
Pour l’heure , la dette moyenne par habitant s’élève ainsi, à la fin de l’année 2020 , à près de 750 euros par habitant, soit plus du double de la moyenne nationale (hors Corse et Ile-de-France – 285 euros/habitant).Les communes de Guadeloupe dispose ainsi, en dette par habitant, du deuxième montant le plus élevé au niveau national, après la Guyane.La taxe foncière est particulièrement difficile à collecter en outre-mer . La Cour des comptes dénombre 253 158 constructions illégales sur sol d’autrui, soit 24,6% de l’ensemble des constructions recensées par la DGFiP. La proportion s’élève à 45% en Guadeloupe !… Toujours en Guadeloupe, seuls 47% des habitants et 36% des bâtiments disposent d’une adresse considérée par la DGFiP comme « fiable et normalisée ». Ce déficit d’adresses fiables est une embûche évidente pour le recouvrement de l’impôt , qui perdure dans le temps et qui fait reposer l’essentiel de l’impôt sur la classe moyenne qui devrait finir bientôt par se révolter sous le poids de la fiscalité consécutive à la dette . Une dette qui augmente en Guadeloupe de plus de 5% par rapport à l’année dernière, et qui reste supérieure de loin à la moyenne de toutes les régions. En 2021 , les annuités de la dette représenteront un coût par habitant de près de 190 euros, soit plus de 10 fois plus que la moyenne nationale constatée pour la même période . Les soubresauts de l’économie Française avec en plus un risque de récession de l’économie mondiale révélée par le FMI en ce début de 2021 vont rendre les banques encore plus réticentes à financer les collectivités locales de Guadeloupe
En effet, pour les collectivités locales hors communes (et hors subventions), il n’existe que deux sources principales de financement possibles : l’autofinancement et le financement intermédiaire, c’est-à-dire bancaire.
Déjà soumises à une stagnation de leurs ressources et une montée des dépenses – en raison des effets de la crise économique et sociale -, communes, départements et régions ont des difficultés grandissantes pour obtenir des crédits bancaires.
Si on ne fait pas attention sur le moyen et long terme, on aura des grosses tensions financières qui peuvent dégénérer et mettre les communes de Guadeloupe en situation financière inextricable .
Il résulte d’une étude que les collectivités territoriales des DOM ne sont plus à même d’accroître leurs ressources et de financer leurs interventions par une hausse des taux de la fiscalité directe locale.
Ces collectivités pâtissent en effet de maux qui les placent dans une situation très différente de celles des collectivités territoriales métropolitaines. La faiblesse de la fiscalité locale (hors octroi de mer) et le poids actuel insoutenable des dépenses de personnel constituent leurs deux principales faiblesses et fonctionnent comme un étau pour les finances locales, qu’il convient de desserrer en assumant une gestion des plus rigoureuses et des priorités de désendettement .
Le changement d’une politique de recrutement de personnels trop dispendieuse : c’est maintenant , avant qu’il ne soit trop tard , sans quoi ce sont toutes les collectivités locales de Guadeloupe qui seront asphyxiés et la population définitivement appauvrie et matraquée fiscalement , avec au surplus le danger de voir l’investissement public local reculer en 2021 et 2022 , ce qui sera un désastre pour l’emploi local.
Force est de constater que des milliards d’euros de privilèges fiscaux et sociaux, que des dépenses publiques plus généreuses qu’en France hexagonale , n’ont pas servi à combler le retard de développement économique de la Guadeloupe et de la Martinique . L’administrationstration a elle-même reconnu les échecs de certaines mesures et choix de société , aujourd’hui difficiles à remettre en cause. La spirale sans fin des dépenses de fonctionnement pilotées à vue par les maires ne fait qu’enfoncer la Guadeloupe. Son salut économique ne pourrait-il venir, plutôt, d’une redéfinition claire des bases fiscales des communes ainsi que de mesures fiscales et réglementaires encourageant la production locale et le libre fonctionnement du marché du travail ?
Pour l’écrivain Milan Kundera « le romancier doit montrer le monde tel qu’il est : une énigme et un paradoxe », comme toujours, l’homme guadeloupéen par sa réalité, rattrape la fiction.
Jean marie Nol – Économiste –