« Ecrivains sur leur île » (1/6). La native de Pointre-à-Pitre, autrice de « Traversée de la Mangrove » ou d’« En attendant la montée des eaux », entretient des rapports assez ambivalents avec ses Antilles. Et réciproquement.
— Par Gladys Marivat (Collaboratrice du « Monde des livres ») —
En décembre 2018, après avoir reçu le Nouveau Prix académique de littérature, dit « Nobel alternatif », à Stockholm, Maryse Condé voyage dans son île natale pour partager sa récompense avec le peuple guadeloupéen. Une foule compacte se presse devant l’aéroport de Pointe-à-Pitre, en chantant le « retour au pays » de l’écrivaine. L’accueil est chaleureux, très différent de celui qui lui avait été réservé une trentaine d’années auparavant lorsqu’elle était revenue après le succès des deux tomes de Ségou (Robert Laffont, 1984 et 1985), sur la chute du royaume bambara. « Dès le départ, mes rapports ont été faussés, biaisés. Alors que je voulais revenir chez moi, ce n’était pas chez moi. Les gens me prenaient pour une étrangère (…). On disait que j’étais une Africaine qui parlait de l’Afrique ! », confie-t-elle à l’universitaire Françoise Pfaff dans Entretiens avec Maryse Condé (Karthala, 1993 ; nouvelle édition 2016). Elle souffre d’être peu ou mal lue sur l’archipel. Alors, plutôt que de végéter dans la maison qu’elle a achetée sur place, elle accepte les propositions d’universités américaines. Sa vie se partagera dès lors entre New York et la Guadeloupe.
Pas de contes créoles
Avoir vécu en France et sur le continent africain, épousé en premières noces un acteur guinéen et publié des livres qui se situaient principalement en Afrique, ne suffit pas à expliquer cette distance entre l’écrivaine et sa région natale. La raison est sans doute à chercher dans le milieu où Maryse Condé, née à Pointe-à-Pitre en 1937, a grandi : une bourgeoisie noire antillaise cultivant l’arrogance et l’entre-soi, qu’elle décrit dans Le Cœur à rire et à pleurer (Robert Laffont, 1999). Un foyer et une école où l’on ne parle que le français. Des étés à Paris tous les cinq ans. Pas de contes créoles dits par « une grand-mère replète et rieuse ». Maryse Condé a consacré un récit, Victoire, les saveurs et les mots (Mercure de France, 2006), à son aïeule, une cuisinière née « dans le plat pays cannier » de Marie-Galante, qui « se louait » chez des Blancs de La Pointe, sur l’île principale de l’archipel de la Guadeloupe. Victoire Quidal est morte avant la naissance de l’écrivaine, emportant avec elle les traditions et l’oralité antillaises.
Excellente élève, Maryse Condé embarque à 16 ans pour Paris, où elle entre en classes préparatoires au lycée Fénelon. Elle part avec joie, son enfance ne lui laissant que des souvenirs d’ennui. Quand sa mère meurt peu après, elle se dit que plus rien ne la rappelle chez elle. Elle n’y retournera pour la première fois que dix-neuf ans plus tard. Ce retour lui inspirera la pièce Dieu nous l’a donné (1972), dont le héros rate totalement son retour au pays et souffre de le voir coincé dans une impasse politique…
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