— Par Jean-Marie Nol, économiste —
Dans un contexte délétère marqué par des données économiques préoccupantes, les territoires d’Outre-mer français se retrouvent au cœur de débats controversés sur l’évolution institutionnelle ou statutaire. Les certitudes du passé n’existent plus ! Que faire pour lutter contre cette crise économique et sociale qui vient et qui risque de s’éterniser ?
D’ailleurs la Guadeloupe est particulièrement sur la sellette avec des crises récurrentes comme celles qui ont récemment défrayé la chronique tels que la gestion de l’eau et le sabotage du réseau par des présumés auteurs syndicalistes, la volonté de la terre brûlée dans la campagne sucrière et surtout la problématique de l’insécurité galopante. Cette situation soulève des interrogations quant à la capacité future de la France à soutenir financièrement ses territoires ultra – marins. La France hexagonale fait en effet face à des défis budgétaires majeurs, exacerbés par la croissance des dépenses sociales et les déséquilibres économiques internes. Selon l’économiste Mathieu Plane, on est face à un déficit de crise, on a eu des soutiens à l’économie exceptionnels, il va falloir trouver des recettes exceptionnelles pour y faire face. Déjà, avec le déficit prévu à 4,9%, il fallait trouver deux points de PIB pour revenir à 3%, c’est-à-dire 60 milliards. Avec un déficit finalement à 5,5%, soit 0,6 point de PIB en plus, il va falloir trouver 20 milliards supplémentaires. Le chemin devant nous est assez considérable, surtout si on considère que la croissance ne sera pas un levier. Il faut une crédibilité budgétaire, oui, mais…. sinon le risque est de répéter l’erreur de 2011-2013, où on a eu des chocs d’austérité très forts dans la zone euro, qui ont conduit à des récessions. Cette situation met en péril le maintien d’un soutien financier conséquent aux territoires d’Outre-mer, tels que la Guadeloupe et la Martinique, qui ont bénéficié d’une assistance financière importante par le passé. Le mur budgétaire de 2025 se rapproche. Pour trouver des économies inédites, le chef de l’Etat et son Premier ministre n’ont pas d’autres choix que de s’attaquer aux dotations des collectivités locales et aux dépenses sociales. Les dépenses sociales jouent un rôle central dans cette crise budgétaire, représentant une part substantielle du budget de l’État français. Avec des dépenses sociales particulièrement élevées qui représentent plus de 50 % de la dépense publique le gouvernement français est confronté à une pression financière croissante pour maintenir ces programmes sociaux, limitant ainsi ses capacités budgétaires pour d’autres secteurs, y compris le soutien aux territoires d’Outre-mer. Parallèlement, les inégalités économiques persistantes entre les différentes régions de la France hexagonale compliquent davantage la situation. Les régions métropolitaines, confrontées à des difficultés économiques et sociales importantes, absorbent déjà une part importante des ressources financières de l’État pour stimuler leur développement. Cette réalité réduit la marge de manœuvre financière pour allouer des fonds supplémentaires aux territoires d’Outre-mer. De plus, les priorités politiques de la France évoluent au fil du temps, influencées par les besoins nationaux et les pressions externes de nature géopolitiques comme la guerre en Ukraine. Si les dirigeants politiques estiment que les ressources doivent être redirigées vers d’autres domaines prioritaires, cela pourrait se traduire par une réduction du soutien financier aux territoires d’Outre-mer.Enfin, la France est confrontée à des pressions budgétaires externes, notamment les exigences de l’Union européenne en matière de stabilité budgétaire ( déficit maximum de 3% du PIB et endettement de 60% du PIB ) et les engagements internationaux. Ces contraintes limiteront la capacité de la France à maintenir un niveau élevé de soutien financier aux territoires d’Outre-mer. En foi de quoi, les difficultés financières et budgétaires auxquelles est confrontée la France hexagonale entravent sa capacité à soutenir durablement sur le moyen terme les îles de Guadeloupe et de Martinique comme par le passé. Cette situation soulève des interrogations cruciales sur l’avenir du financement et du développement de ces territoires, ainsi que sur les stratégies à adopter pour garantir leur prospérité économique, et ce d’autant que l’opposition monte au créneau dénonçant la brutalité des coupes budgétaires sur le budget de la mission outre-mer. Et pourtant le gouvernement laisse entendre que cela n’est qu’une mise en bouche. En effet, il n’exclut pas de réduire les transferts publics et les dépenses sociales, de loin les plus importantes de notre budget.
Parmi les voix s’élevant dans ce débat, certaines défendent l’idée d’accorder l’autonomie aux Antilles et à la Guyane. Mais il semblerait que penser et croire que le statut d’autonomie avec de nouvelles compétences aux élus sans les moyens financiers et budgétaires adéquats serait en mesure de régler le problème du mal développement ne puisse être en définitive qu’une simple vue de l’esprit. Cependant, certains soulignent que cette éventuelle responsabilité locale pourrait résulter du désintérêt croissant de la France envers ses anciennes colonies, plutôt que d’une volonté réelle de donner aux territoires d’Outre-mer les moyens financiers de leur autonomie. Cette perspective soulève des questions sensibles liées à l’héritage colonial et à la mémoire collective.Dans ce contexte, il est essentiel de prendre du recul et d’éviter toute réaction impulsée par l’émotion ou la dérive politicienne. Comme l’a souligné Benjamin Stora, spécialiste de la question mémorielle, la décolonisation des imaginaires reste une question potentiellement explosive pour les colonisés. Ainsi, il est impératif de faire preuve de discernement et de penser aux conséquences à long terme de nos actions.La maxime créole « Dan épi lang ka faché » (Les dents et la langue se fâchent) rappelle que même entre personnes proches, des divergences peuvent surgir et mener à la conflictualité. De même, dans le débat sur l’avenir des territoires d’Outre-mer, il est crucial de reconnaître les différences d’opinions et de travailler ensemble pour trouver des solutions durables et équitables pour en finir avec la gabegie ambiante en Guadeloupe. Ainsi par exemple, dans un récent communiqué de presse daté du 25 mars 2024, le Comité du Tourisme des Îles de Guadeloupe (CTIG) a fait état d’un mécontentement généralisé concernant les conséquences néfastes de la crise de l’eau sur le secteur touristique notamment les hôtels et gîtes privés d’eau, et a fustigé l’inconséquence de l’accueil de certains Guadeloupéens qui a conduit au départ inattendu d’une compagnie de croisière haut de gamme et qui pourrait impacter gravement l’industrie du tourisme dans l’archipel. En effet, la compagnie de croisières haut de gamme Virgin Voyages a décidé de ne pas reconduire son déploiement à Pointe-à-Pitre pour la saison 2024/2025, malgré les efforts déployés pour promouvoir durablement ce secteur. Cette décision fait suite à des taux de satisfaction relativement bas, signalant ainsi un coup dur pour la stratégie de développement du tourisme de croisière haut de gamme dans les Îles de Guadeloupe. C’est là où le bât blesse,car déjà l’on peut noter que dans les territoires d’Outre-mer, le nombre de défaillances d’entreprise augmente de +34,2 % en 2023 par rapport à 2022 (+35,6 % pour la France entière).
En cumul sur l’année 2023, ce sont 2 338 entreprises ultramarines placées en redressement ou une liquidation judiciaire, ce qui constitue un point haut, au-delà du niveau pré-crise Covid.
La situation préoccupante ne se limite cependant pas au secteur du tourisme et plus largement à l’ensemble de l’économie de la Guadeloupe.
Des lacunes alarmantes ont été relevées dans le recrutement des enseignants en école primaire, soulevant des interrogations sur la qualité de l’éducation. Les résultats des jurys du concours de recrutement des enseignants de l’année 2023 ont révélé des déficits notables en grammaire, orthographe, mathématiques et culture générale chez certains candidats, malgré leur niveau d’études élevé. Les évaluateurs ont souligné des déficits notables en grammaire, orthographe, mathématiques et culture générale. Ces lacunes, associées à des erreurs linguistiques et à une confusion dans les compétences mathématiques de base, soulèvent des préoccupations quant à la qualité de l’enseignement futur. Il est urgent que les autorités éducatives prennent des mesures pour remédier à ces problèmes et garantir un enseignement de qualité pour tous les élèves Guadeloupéens. Cette situation soulève des préoccupations quant à la capacité des enseignants et des interrogations sur la démission des parents.
Parallèlement, la situation économique de la Guadeloupe montre des signes de détérioration, avec une remontée du chômage et des difficultés croissantes pour les entreprises. La baisse de l’activité économique, notamment dans l’industrie et le bâtiment, se traduit par une dégradation de la trésorerie des entreprises, accentuée par des délais de paiement des clients de plus en plus longs et fréquents. Cette conjoncture économique incertaine laisse planer des doutes sur la capacité de résilience de l’économie guadeloupéenne. En outre, la violence semble s’installer durablement en Guadeloupe, mettant en péril le vivre-ensemble dans l’archipel. Les récentes manifestations de violence, notamment les braquages à main armée ayant entraîné des pertes humaines, ont suscité l’indignation et soulevé des questions sur l’efficacité des mesures de sécurité en place. Qu’est-ce qui unit Rungis, Pointe-à-Pitre, Saint-Omer, Pamandzi (à Mayotte) et Verdun ? Ces villes de moins de 20.000 habitants caracolent en tête du classement des violences commises dans la rue ou à l’école. Elles figurent parmi les 1743 communes de cette taille inscrites dans les rôles du Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI), rattaché au ministère de l’Intérieur et des outre-mer. Cette escalade de la violence menace également les fondements du vivre-ensemble en Guadeloupe, exacerbant les tensions identitaires et les divisions au sein de la société.En effet, les tensions identitaires sont de plus en plus palpables, avec des confrontations entre différentes communautés et une montée des revendications nationalistes et culturelles. La diversité culturelle de l’archipel, loin de constituer une richesse, semble devenir un terreau fertile pour les conflits sociaux et les antagonismes raciaux. Les différents horizons idéologiques, allant de l’assimilation à la revendication de la négritude en passant par le nationalisme culturel, reflètent la complexité des enjeux identitaires en Guadeloupe.Face à cette situation préoccupante, il devient urgent pour les autorités guadeloupéennes de prendre des mesures concrètes pour répondre aux défis auxquels l’archipel est confronté. Cela implique notamment des actions visant à renforcer l’industrie du tourisme notamment culturel, à améliorer la qualité de l’éducation, à soutenir les entreprises locales notamment du secteur productif, et à garantir la sécurité des citoyens. En outre, il est indispensable de promouvoir le dialogue et la tolérance au sein de la société guadeloupéenne, afin de préserver le vivre-ensemble et de favoriser l’épanouissement de tous ses membres.
En conclusion, la situation troublée actuelle ne peut perdurer indéfiniment, et il est plus que temps pour l’État et les élus d’envisager un rééquilibrage à l’aide d’un nouveau modèle économique et social et d’une habitation générale pour mettre en œuvre des lois pays. Il est nécessaire d’aborder ces questions avec sérieux et responsabilité, en tenant compte à la fois des réalités économiques et des enjeux politiques, culturels et mémoriels.
« Apwé fèt, sé gwaté tèt »
Traduction : Après la fête, on se gratte la tête.
Moralité : Les difficultés financières surviennent après la fête : il faut savoir épargner avant les grosses dépenses.
Jean-Marie Nol, économiste