— Par Jean-Marie Nol, économiste —
L’idée d’autonomie pour la Guadeloupe est souvent présentée comme une solution aux problèmes locaux, mais cette perspective est largement critiquée pour son manque de réalisme et ses dangers financiers et économiques.Bien que la souveraineté politique locale soit un concept en vogue, elle doit être abordée avec prudence. La réalité est que le mot « autonomie » reste chargé de connotations négatives pour beaucoup, souvent associé à l’indépendance. Les récentes discussions au congrès des élus guadeloupéens montrent une volonté d’explorer l’autonomie de l’article 74 de type Nouvelle-Calédonie, mais cette voie de l’article 74 qui semble être la panacée pour nos élus est parsemée de risques et d’incertitudes. En vérité les élus ont vendu du vent parsemé de juridisme trompeur aux guadeloupéens. Non, tenons nous le pour dit,il ne s’agissait pas d’une simple réforme administrative de la fusion des deux assemblées comme annoncé précédemment par certains thuriféraires. Déjà que la CTM en Martinique avec sa collectivité unique est assailli de demandes financières de tout ordre qu’elle est dans l’incapacité de satisfaire notamment pour ce qui est du BTP qui réclame à cor et à cri plus de commande publique. C’est la crise financière et budgétaire qui se profile et ça va mal finir. Pa konet mové !
Les guadeloupéens ont droit à la vérité à savoir que récemment encore c’est environ 830 millions d’euros que l’État a débloqué en dehors de ses compétences pour la Guadeloupe sur les dossiers de l’eau, la canne, les programmes CORUM et coeur de ville,etc.. pour suppléer l’absence de possibilité de financement des collectivités locales de la Guadeloupe. J’attends donc impatiemment de voir si ces facilités de trésorerie de l’État pourraient être renouvelées avec l’état exsangue des finances publiques dès 2025. D’ailleurs, nous aurons l’occasion de confirmer notre mise en garde avec les sommes débloquée pour la reconstruction de l’économie dévastée de la nouvelle Calédonie autonome. D’ailleurs le gouvernement autonome de la nouvelle Calédonie/kanaky annonce que le territoire qui jouit de l’autonomie la plus large est en cessation de paiement.
La dissolution de l’Assemblée nationale ouvrant la voie à l’extrême droite du Rassemblement national va vraisemblablement changer la donne, et ouvrir les yeux de nombre de guadeloupéens, tout comme d’ailleurs le changement climatique et l’essor de l’intelligence artificielle (IA) qui sont des phénomènes susceptibles de révolutionner notre société. Ces dynamiques pourraient rendre le concept d’autonomie pour la Guadeloupe obsolète et sans valeur. L’élite intellectuelle et nos élus devrait plutôt se mobiliser pour élaborer un plan d’action économique régional stratégique, dans un cadre d’action d’un nouveau modèle économique et social, plutôt que de poursuivre la chimère d’un changement institutionnel. Voici pourquoi l’autonomie pourrait s’avérer être un concept vide de sens et potentiellement dangereux pour la Guadeloupe.
L’économie guadeloupéenne repose en grande partie sur des mécanismes fiscaux spécifiques, tels que les taxes sur l’essence, les droits de mutation, et l’octroi de mer. Ces taxes sont des sources de revenus importantes pour les collectivités locales, mais leur pertinence est remise en question par plusieurs facteurs. Le monde se dirige vers une adoption massive des véhicules électriques. Cette transition va réduire drastiquement les recettes générées par les taxes sur l’essence. Pour une économie insulaire dépendante de ces revenus, l’impact sera considérable et difficile à compenser à court terme.
L’octroi de mer, une taxe sur les importations destinée à protéger les productions locales, est de plus en plus critiqué par les instances nationales et internationales de l’Union Européenne et pourrait être remis en cause. La réduction ou l’élimination de cette taxe créerait un vide fiscal important, mettant à mal les finances locales.
L’essor de l’intelligence artificielle (IA) et de la robotisation représente un autre bouleversement majeur pour l’économie guadeloupéenne, principalement axée sur les services. L’IA continue de progresser rapidement et son impact sur l’économie guadeloupéenne sera inévitable. Depuis la départementalisation, le secteur des services est devenu prédominant en Guadeloupe. Cependant, l’automatisation et l’IA menacent de nombreux emplois dans ce secteur. Les élites politiques et économiques doivent reconnaître qu’elles n’auront pas les moyens d’endiguer le danger de cette disruption et anticiper les transformations nécessaires pour atténuer les impacts sociaux et économiques.
De nombreux emplois dans les secteurs des services et de l’administration sont susceptibles d’être automatisés à brève échéance. La perte d’emplois pourrait être massive, accentuant les inégalités et créant des tensions sociales.
Mais plus important encore, la Guadeloupe est démunie des ressources financières pour faire face à la crise de la dette qui va assécher les dotations de l’état français aux collectivités locales. Les circonstances du moment invitent à regarder ces sujets arides et peu populaires avec davantage de gravité.
Le changement climatique est une autre variable cruciale en matière de problématique financière. La Guadeloupe, comme de nombreuses îles des Caraïbes, est particulièrement vulnérable aux phénomènes climatiques extrêmes. L’élévation du niveau de la mer, les ouragans plus fréquents et intenses, et les perturbations des écosystèmes marins et terrestres auront des conséquences directes sur l’économie locale, notamment sur le tourisme, l’agriculture et la pêche. Quid du financement des dégâts ?
La Guadeloupe, en tant que région insulaire éloignée des grands centres économiques, pourrait avoir du mal à attirer et à retenir des investissements dans des secteurs technologiquement avancés. Le manque d’infrastructure et de main-d’œuvre qualifiée pour répondre aux besoins de l’économie numérique pourrait aggraver la situation économique.
L’exemple de l’autonomie de la Nouvelle-Calédonie est instructif pour la Guadeloupe. Malgré l’autonomie, la Nouvelle-Calédonie continue de faire face à des défis économiques significatifs, notamment l’instabilité Politique.
Les tensions entre les différents groupes politiques et ethniques peuvent paralyser la gouvernance et empêcher la mise en œuvre efficace de politiques économiques. Malgré une certaine autonomie, la Nouvelle-Calédonie reste dépendante des transferts financiers de la métropole pour maintenir le paiement des retraites, le financement de ses services publics et ses infrastructures. Cette dépendance limite sa capacité à agir de manière indépendante sur le plan économique et financier.
Pour la Guadeloupe, l’autonomie pourrait s’avérer non viable pour plusieurs raisons. Une économie insulaire est par nature vulnérable aux chocs externes. La perte des transferts financiers et des subventions de la France métropolitaine pourrait aggraver la précarité économique.
L’insuffisance des infrastructures et des services publics adaptés à une gestion autonome pose un problème majeur. La Guadeloupe manque des ressources financières et des capacités nécessaires pour gérer de manière autonome des secteurs clés comme l’autosuffisance alimentaire, la fiscalité, la santé, l’éducation, l’eau et les déchets ainsi que les transports.
La transition vers une économie autonome nécessiterait des compétences spécialisées en gestion publique, en fiscalité et en développement économique, qui font actuellement défaut.
Les élites politiques et économiques de la Guadeloupe devraient faire preuve de vision prospective plutôt que de se focaliser sur des changements institutionnels incertains, car plus que jamais la Guadeloupe doit adopter une approche proactive et visionnaire pour un développement économique de type nouveau. Un plan d’action économique régional stratégique, élaboré par une élite intellectuelle éclairée, est nécessaire pour faire face aux défis à venir. Cette stratégie doit inclure l’Innovation technologique et l’Éducation en priorité. Investir dans l’éducation et la formation pour préparer les jeunes Guadeloupéens aux emplois de demain, notamment dans les domaines de la technologie et des énergies renouvelables.
Il faut également développer des infrastructures résilientes et durables pour atténuer les impacts du changement climatique. Cela inclut la construction de bâtiments résistants aux ouragans et aux séismes, l’amélioration des systèmes de gestion de l’eau et la protection des côtes.
Et pour terminer l’accent devrait être mis sur la diversification Économique. Il faut sans plus attendre casser les monopoles et réduire la dépendance à quelques secteurs économiques en diversifiant les activités de manière à promouvoir l’agriculture durable, l’économie bleue, et les énergies renouvelables qui peuvent créer de nouvelles opportunités d’emploi et de croissance.
En somme pour conclure notre démonstration, l’idée d’autonomie pour la Guadeloupe est un concept dangereux sur le plan économique et culturel. L’exemple de l’autonomie en Nouvelle-Calédonie, qui a connu des difficultés significatives, doit servir d’avertissement. Les défis économiques, sociaux et culturels auxquels la Nouvelle-Calédonie fait face montrent que l’autonomie n’est pas une solution miracle. Au contraire, elle peut aggraver les tensions entre communautés et les problèmes économiques et identitaires existants, plutôt que de les résoudre. Par ailleurs, sur le plan économique, la dépendance aux taxes sur l’essence et l’octroi de mer, qui deviendront obsolètes, et l’impact des technologies disruptives comme l’IA et la robotisation, la quasi faillite des secteurs d’activité comme la canne et la banane mettent en évidence les faiblesses structurelles de l’économie guadeloupéenne. Plutôt que de se tourner vers une autonomie incertaine et potentiellement destructrice, la Guadeloupe doit se concentrer sur le renforcement de ses capacités internes, l’adaptation aux nouvelles réalités économiques mondiales et l’amélioration de sa résilience face aux chocs externes notamment la possibilité de l’extrême droite au pouvoir.
« Danmjanm toutouni pa kay an priyè a wòch-galèt »
Traduction littérale : La Dame-Jeanne nue ne va pas à la prière des galets)
Moralité : Le pot de terre doit éviter de se frotter au pot de fer
Jean-Marie Nol économiste et juriste en droit public