— Par Julie Briand —
Angelin Preljocaj est l’auteur de ce ballet sombre et splendide, qui questionne la relation entre le réel et sa représentation. Créé au Grand Théâtre de Provence, il est en tournée dans toute la France.
«Il était une fois deux voyageurs, l’un nommé Chu et l’autre, Meng. » C’est ainsi que débute la Peinture sur le mur, célèbre conte chinois dont Angelin Preljocaj s’est inspiré pour composer sa dernière création. Les deux voyageurs en question vont passer la nuit dans un temple à l’abandon et découvrir une magnifique fresque représentant un groupe de jeunes filles. Chu, saisi par la beauté de l’une d’entre elles, la fixe si intensément qu’il la rejoint, par-delà les frontières de la représentation. Ils se reconnaissent et s’aiment, avant que Chu ne revienne à la réalité. La fresque est toujours là, immobile. Mais la chevelure de l’aimée est désormais attachée en chignon, comme il est d’usage pour les femmes mariées.
Entre la puissance des danses rituelles et la légèreté aérienne des portés
Beau point de départ pour s’élancer vers des questions sans fin : la frontière entre le réel et sa représentation, le rêve et la réalité, le pouvoir hypnotisant des images… Autant de thèmes qui irriguent l’œuvre d’Angelin Preljocaj depuis plus de trente ans. Pas de surprise, donc, à ce qu’il les traite en maître. Dès le début du spectacle, on est happé par la beauté du duo des voyageurs, qui trouve son équilibre entre la puissance des danses rituelles et la légèreté aérienne des portés. La fresque apparaît ensuite dans un grand cadre noir, évoquant un tableau posé sur scène. L’image des cinq jeunes femmes est floue, comme nimbée de brume ou passée au lavis. Mais sous cette splendide esquisse, perce une image beaucoup plus contemporaine, beaucoup plus trouble… Et si ces jeunes filles, lascives et diaphanes, se trouvaient derrière une vitrine, exposées aux fantasmes des hommes de passage ?
L’ensemble du spectacle navigue entre ces deux univers : romantisme onirique d’un côté, inquiétante étrangeté de l’autre. Toute l’équipe de Preljocaj s’est employée à créer cette ambiguïté. Les lumières sont signées Éric Soyer, dont on a déjà pu admirer l’art du clair-obscur dans les créations de Joël Pommerat. Les costumes d’Azzedine Alaïa, robes légères aux troublantes envolées, jouent sur le fantasme de la femme-enfant. La musique électronique de Nicolas Godin, cofondateur du groupe Air, navigue entre les influences : percussions, rock, classique… Enfin, la vidéo est…
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