Un premier projet de loi sur la restitution par la France à des pays africains d’œuvres culturelles prises pendant la colonisation, un sujet controversé, a été présenté mercredi 15 juillet en conseil des ministres. La France va ainsi procéder à la restitution d’un sabre historique au Sénégal et, dans les prochains mois, de 26 objets du patrimoine au Bénin.
Ce transfert d’œuvres culturelles vers leur pays d’origine avait été initié par le président Emmanuel Macron dans son discours de Ouagadougou, le 28 novembre 2017. Cette restitution « correspond à un engagement très fort pris par le président de la République pour que la jeunesse africaine ait la possibilité d’accéder à son patrimoine, à son histoire, en Afrique », a expliqué le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal à l’issue du conseil des ministres. Elle est « l’un des enjeux essentiels pour une relation d’amitié nouvelle entre la France et l’Afrique », selon lui.
Pour cela, le projet de loi autorise, « par une dérogation limitée au principe essentiel d’inaliénabilité applicable aux collections publiques françaises », le transfert au Bénin de la propriété de 26 objets pillés lors du sac du palais des rois d’Abomey par des troupes coloniales françaises en 1892. Ces totems et spectres, actuellement conservés au Musée du Quai Branly-Jacques Chirac à Paris, seront exposés dans un lieu public au Bénin.
L’historienne de l’art d’origine béninoise, Marie-Cécile Zinsou, s’est félicitée sur l’antenne de France 24 de cette annonce : « C’est un moment historique pour la jeunesse béninoise et africaine en général. Ce projet de loi veut dire que les choses sont enfin concrètes. On quitte le stade des paroles et on entre dans la législation. Ce combat nous mène enfin à un résultat ».
« On ne se bat pour un trône ou des sceptres. On se bat pour notre mémoire et notre histoire », a ajouté la présidente de la fondation Zinsou. « Toutes ces œuvres sont les supports de notre histoire qui a été beaucoup transformée par le récit de la colonisation et par ce qu’il s’est passé au XXe siècle. Aujourd’hui, nous allons pouvoir avoir un nouvel accès à l’Histoire ».
Un délai maximal d’une année pour la remise
Au Sénégal, la France restitue formellement un sabre que l’ex-Premier ministre français Édouard Philippe avait symboliquement remis en novembre dernier au président Macky Sall. Cette arme est historiquement significative puisqu’elle a appartenu à El Hadj Oumar Tall, un chef de guerre et érudit musulman qui a conquis au XIXe siècle un immense territoire à cheval sur le Sénégal, la Guinée et le Mali, et a lutté contre l’armée coloniale française.
« Dans les deux cas, le projet de loi prévoit un délai maximal d’une année pour la remise, par les autorités françaises, de ces œuvres », précise le gouvernement, qui n’a pas indiqué si de nouvelles œuvres allaient être restituées à d’autres pays comme la Côte d’Ivoire.
Emmanuel Macron avait annoncé ces décisions fin 2018 sur la base d’un rapport des universitaires Bénédicte Savoy, du Collège de France, et Felwine Sarr, de l’Université de Saint-Louis au Sénégal, qui ont recensé 90 000 œuvres africaines dans des musées français.
Leurs travaux ont été contestés par d’autres spécialistes et des musées comme le Quai Branly, qui dispose de la plus importante collection d’arts premiers. Ils se sont inquiétés d’une politisation du débat et d’arguments selon lesquels toutes les œuvres en dépôt chez eux depuis la colonisation ont été malhonnêtement acquises ou pillées, et doivent être rendues. Ils privilégient la « circulation » des œuvres entre la France et l’Afrique, plutôt que des restitutions, sauf quand, comme c’est le cas pour les statues du palais Royal d’Abomey, le pillage par des soldats français a été flagrant.
« Cela va mettre certaines personnes très en colère », note Marie-Cécile Zinsou. « Mais quand l’Histoire avance cela ne se fait jamais avec l’approbation de tous ».