Quel sera l’impact sur l’administration politique des territoires d’outre-mer de la nouvelle stratégie géopolitique française en Afrique ?
— Par Jean-Marie Nol —
Le changement de pied de la diplomatie française depuis quelques années en Afrique, caractérisé par une réorientation stratégique vers les pays africains non francophones, marque une inflexion significative dans la géopolitique française en Afrique. Cette réorientation s’explique par un ensemble de facteurs géopolitiques, économiques, et sécuritaires, et semble répondre à la nécessité de redéfinir les relations de la France avec l’Afrique francophone , en s’adaptant à un contexte international marqué par la montée d’autres puissances à l’intérieur du mouvement émergent des BRICS et un désir croissant d’indépendance des pays africains vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale. Nous en voulons pour preuve de cette réorganisation de la coopération française en Afrique le retrait des banques françaises dans les pays francophones d’Afrique. Le désengagement progressif des banques françaises d’Afrique résulte d’un ensemble de facteurs économiques, financiers et réglementaires, accentués par les conséquences de la crise financière de 2008. Après cette crise, les établissements financiers européens, y compris les banques françaises, ont dû se restructurer pour renforcer leur stabilité face aux pertes massives qu’ils avaient essuyées. Ce processus de redéfinition stratégique s’est d’abord traduit par un repli vers les activités et marchés jugés plus rentables et moins risqués, et l’Afrique, perçue comme complexe et coûteuse en termes de gestion des risques, est devenue une cible pour ce désengagement.
Les normes prudentielles imposées aux banques européennes ont été renforcées de manière drastique après 2010, dans le cadre des réformes de Bâle 3, qui exigent des établissements bancaires une gestion rigoureuse des risques et une meilleure allocation des capitaux. Ces normes incitent les banques à privilégier les marchés présentant un risque faible et une rentabilité élevée. Dans ce contexte, le continent africain est perçu comme nécessitant un capital prudentiel important, du fait de l’instabilité économique et des risques géopolitiques de certaines de ses régions. Bien que le risque effectif en Afrique puisse être parfois moins élevé qu’il n’y paraît, la perception européenne de ce continent comme un investissement coûteux et risqué persiste.
La Société Générale, l’une des banques françaises les plus présentes en Afrique, a entamé son désengagement en vendant plusieurs de ses filiales sur le continent. Ce processus lui permet d’améliorer son ratio CET1 (Capital Equity Tier 1), qui est l’un des indicateurs clés de solidité financière exigé par les normes de Bâle. En allégeant ses participations en Afrique, la banque peut améliorer sa stabilité financière et réduire l’allocation de capitaux sur des marchés où elle juge le retour sur investissement insuffisant par rapport aux exigences de capitaux.
L’objectif ultime de ce retrait est la rentabilité. Avec une pression accrue pour maintenir des marges bénéficiaires élevées, les banques françaises préfèrent se recentrer sur des zones géographiques où les coûts de conformité réglementaire et les risques sont moindres. Le Crédit Agricole et le groupe BPCE ont été parmi les premiers à se désengager de leurs activités africaines, suivis de la BNP, qui a cédé ses participations dans plusieurs pays. En 2023, la Société Générale a aussi annoncé la cession de quatre filiales africaines (Congo, Guinée équatoriale, Mauritanie, Tchad), anticipant un effet positif sur son ratio de solvabilité, illustrant l’arbitrage permanent entre risque et rentabilité.
En somme, si en apparence, ce désengagement stratégique des banques de la France des pays francophones répond à une logique de rentabilité et de gestion prudente des risques , elle est surtout motivée selon nous pour des raisons politiques et géostratégiques.
Tout d’abord, ce pivot vers des pays africains non francophones découle de la complexification des relations entre la France et ses anciennes colonies d’Afrique francophone. Le sentiment anti-français s’y est amplifié ces dernières années, nourri par des frustrations historiques, des attentes sociales insatisfaites, et des rivalités économiques avec des acteurs globaux comme la Chine, la Russie, le Maroc et la Turquie, qui proposent une approche perçue comme moins interventionniste et plus respectueuse de la souveraineté. En conséquence, la France s’est vue progressivement marginalisée dans plusieurs pays notamment de la zone du Sahel et plus récemment en Algérie , et ses politiques d’influence ont rencontré des résistances souvent accompagnées d’instabilités politiques et commerciales . Le retrait des forces françaises de plusieurs régions de l’Afrique francophone, par exemple au Mali , au Niger et au Burkina Faso, et la perte d’influence au Sénégal et en Algérie illustre cette tendance. Face à ces difficultés, Paris semble se tourner vers de nouveaux partenaires en Afrique, notamment en Afrique anglophone (Nigeria, Afrique du Sud, Kenya) et lusophone (Mozambique, Angola), voire en Afrique du Nord ( Maroc, Tunisie) où les relations peuvent être bâties sur des bases plus égalitaires et dénuées des tensions coloniales persistantes. D’ailleurs un autre indice retient l’attention, en effet la France réduit encore drastiquement son aide publique au développement. Le projet de loi de finances pour 2025, prévoit une baisse de plus de 20 % soit 1,3 milliards d’euros sur l’aide qui vise à soutenir les pays et les populations les plus vulnérables de l’Afrique francophone.
Concrètement, cette coupe de plus de 1,3 milliard dans le budget équivaut à la suppression de milliers de projets menés auprès des personnes vulnérables ou encore à la fin d’un accompagnement scolaire pour des millions d’enfants de l’Afrique francophone.
Cette réorientation vers une Afrique non francophone n’est pas seulement diplomatique, elle est également économique. Tout récemment, le spécialiste français de l’uranium Orano a annoncé la suspension de sa production d’uranium au Niger et ce au grand dam des autorités du pays. Dans un contexte où la France doit diversifier ses partenaires commerciaux, plusieurs pays africains non francophones offrent des marchés émergents prometteurs et une main-d’œuvre de plus en plus qualifiée. Le Nigeria, et l’Afrique du Sud en particulier, représente un énorme potentiel économique et démographique, ce qui en fait des partenaires stratégiques pour l’avenir. En s’investissant dans des projets de développement, d’infrastructure, et de coopération sécuritaire dans ces pays, la France tente de renforcer sa présence économique en Afrique non francophone sans pour autant se retrouver empêtrée dans des relations bilatérales empreintes de méfiance et de critiques post-coloniales. A ce sujet, alors que la France est toujours confrontée à la crise dans son pré-carré historique du Sahel, elle suspend maintenant la délivrance des visas pour les étudiants venant du Mali, du Niger, et du Burkina Faso. Une manoeuvre diplomatique qui va affecter la jeunesse africaine et les étudiants étrangers, qui subissent déjà la politique de désengagement financier au niveau de l’aide au développement du gouvernement Français en Afrique francophone..
En envisageant cette nouvelle stratégie géopolitique africaine comme un modèle d’évolution potentielle pour les relations de la France avec ses territoires d’outre-mer, des parallèles peuvent effectivement être établis, bien que les contextes soient très différents. En Guadeloupe et en Martinique, les relations avec la » métropole » sont aussi empreintes de tensions historiques , identitaires et culturelles, notamment en raison des disparités économiques, de la persistance d’une vie chère, et du sentiment de dépendance économique vis-à-vis de l’État français. Une révision des relations entre la France et ses territoires ultramarins pourrait consister, comme en Afrique, en un rééquilibrage de l’influence de la France en favorisant des formes de partenariats et d’autonomie accrues dans le développement économique local.
Si la France s’efforce en Afrique d’adopter un modèle de coopération moins centralisé, fondé sur le respect de la souveraineté et une autonomie économique accrue, cela pourrait inspirer une politique similaire vis-à-vis des territoires ultramarins. À l’instar de cette politique de « respect mutuel » en Afrique, Paris pourrait envisager de réévaluer la gestion des dossiers économiques, sociaux, et environnementaux dans les DOM, en leur accordant davantage de latitude pour développer des projets adaptés à leurs besoins spécifiques , mais sans moyens financiers supplémentaires . De plus, une diversification des partenariats de la Martinique ,de la Guyane et de la Guadeloupe avec d’autres pays de l’Amérique du Sud ( le géant pétrolier la multinationale Total investit désormais en Guyana et au Suriname ) des Caraïbes, de l’Amérique latine, ou même des États-Unis pourrait être encouragée, facilitant ainsi leur intégration dans des réseaux économiques régionaux plus larges et moins dépendants de la « métropole ».
Pour autant, une telle évolution serait complexe à mettre en œuvre, car les territoires ultramarins demeurent dans un cadre constitutionnel français qui limite leur autonomie , tandis que les contextes sociaux et économiques diffèrent radicalement de ceux de l’Afrique. Il serait toutefois intéressant d’explorer si cette stratégie d’autonomisation et de diversification des relations pourrait contribuer à apaiser certaines tensions identitaires et permettre un développement endogène plus résilient et plus inclusif pour ces territoires, en s’inspirant des expériences de rééquilibrage en Afrique.
En définitive, le pivot de la France vers l’Afrique non francophone constitue un exemple de repositionnement stratégique dans un contexte de remise en cause des anciennes dynamiques d’influence. En transposant certains principes de cette réorientation à l’outre-mer, la France pourrait envisager un modèle plus participatif et respectueux de l’autonomie économique locale, en favorisant une intégration régionale accrue avec des relations politiques et commerciales accrues avec les pays de la caraïbe anglophone et hispanophones et une redéfinition des liens avec l’Hexagone . Toutefois, cette transition impliquerait des ajustements institutionnels et constitutionnels profonds, de manière à permettre à des territoires comme la Guadeloupe la Guyane et la Martinique de prospérer dans un cadre où leurs spécificités seraient mieux reconnues et respectées.
« Anni pran douvant avant douvan pran’w »
Traduction littérale : Prends les devants avant que les devants ne te prennent
Moralité : l’avantage de la prospective c’est que l’on a toujours une longueur d’avance. Il vaut mieux d’anticiper les choses plutôt que d’être pris au dépourvu.
Jean-Marie Nol, économiste et juriste en droit des affaires