« La France, Empire », « Historia d’un senglar », « Elisabeth Castello », « Anthocyane »

— Par Dominique Daeschler —

La France, Empire. Texte m e s Nicolas Lambert.

Cie un pas de côté

— Par Dominique Daeschler —

Nicolas Lambert nous revient, pour un spectacle de 2 heures. Il n’en a pas fini avec le roman national . Après Bleu Blanc Rouge, la Pompe Afrique, L’A démocratie … il quitte le pétrole, le nucléaire pour entrer dans le démantèlement de l’empire républicain, dans le déni de l’histoire impériale et coloniale. Il mêle le souvenir de ses grands-parents et leurs ressentis face aux guerres : les bombes qui détruisent ou l’envie d’en découdre, les traumatismes d’une vie passée à la moulinette. La guerre c’est aussi séduire et terroriser . Quand on demande à sa fille de montrer combien l’armée française est au service des valeurs de la république, il monte en mayonnaise et s’y colle. La France d’après – guerre c’est aussi un empire : Maroc, Syrie, Cameroun, Vietnam Cambodge, Niger, Algérie…. Il y a des complots, des insurrections ( Syrie, Cameroun, Madagascar…) Qu’on étouffe sans aucun écho médiatique. On parle de pacification ( Sénégal) ,d’évènements quand il s’agit de guerre ( Algérie) , il y a torture (notamment en Algérie), du lynchage de foule ( le 17 octobre 1961 à Paris ou l’on retrouve quantité de corps d’algériens dans la Seine) et mille exactions qui sont des atteintes à la dignité : les tirailleurs sénégalais remplacés par des blancs pour entrer dans Paris (colonne Leclerc), les soldats africains qu’on tue parce qu’ils réclament leur solde, le classement fait pour les cartes d’identité qui permet de ficher, les confusions qui arrangent entre musulmans et algériens : toujours une seule voix pour raconter pour dénaturer le passé, entretenir un refoulé collectif. Rêves de communauté pour De Gaulle afin d’enrayer ou de contrôler les indépendances, départementalisation (Dom, Mayotte) et discours restant suprémacistes (Sarkozy) : le colonialisme triche et le racisme prend racine.

Comédien brillant, jouant sans filet ( ni décor ni effet de lumière), Nicolas veut faire sortir le vrai, en finir avec l’occulté : on ne peut pas s’empêcher de penser au rapport de Benjamin Stora sur l’Algérie et resté lettre morte.

Son texte, né d’un travail documentaire précis, est à entendre de toute urgence.

Historia d’un senglar, texte et m.e.s. Gabriel Calderon, Festival Temporada Alta

— Par Dominique Daeschler —
Gabriel Calderon, auteur et metteur en scène uruguayen, confie à Joan Carreras le soin de jouer un comédien, habitué des petits rôles qui se trouve soudain choisi pour incarner Richard III. Défi, soif de pouvoir et de revanche, il y a du Julien Sorel chez cet homme qui parle, parle sans reprendre haleine en catalan (coproduction oblige mais pas que). Il est assis dans les cordes (mot qu’on ne prononce pas au théâtre car il est censé porter malheur). Plus il entre dans le personnage et sa cruauté, plus il veut intervenir dans la mise en scène et imposer sa vision de la pièce. Il se fâche avec les autres acteurs, captant le public de façon impérieuse, mettant en parallèle les exactions du roi avec sa vie. Comment entrer dans l’intime de sa vie et celle de Richard ? Rien ne lui résiste, il « convoque « la mère de Richard : ah le joli jeu de cou avec la «  fraise » ! Plus l’assurance vient, plus le débit ralentit. Aller plus loin, comme Richard III, se mettre en danger, foncer comme un sanglier, faire fi de l’ordre établi et du rôle social, interpeller. Tout peut s’effondrer, la langue catalane fait résistance : nouveaux codes, détruire pour détruire ? Dans ce petit fond de scène, derrière les pendards, le personnage est acculé : mur-murmure. Ouf, le comédien est déjà sorti.

Elisabeth Castello, m.e.s. K. Warlikowski, Nowy Teatr

D’ après l’œuvre de John Maxwell Coetzee

— Par Dominique Daeschler —

Je le confesse d’entrée, je n’ai vu que la moitié du spectacle et suis partie à l’entracte. Pourquoi ? Comment écrire quand même ? Imaginons déjà que je sois un personnage fictif comme E Castello et que je décide d’exister comme tout autre spectateur : je sais que Coetzee a créé une sorte de double que Warlikowski fait asseoir au côté de l’auteur (une immense pièce dont les rideaux s’ouvrent sur un WC est éclairée sur la gauche), leur image étant renvoyée sur grand écran. La traduction du polonais est projetée sur un tout petit rectangle très très haut : impossible de tout lire car ça va très vite et impossible de voir en même temps les comédiens jouer et regarder l’écran. Frustration. Comment introduire le doute ? Ce qui est troublant c’est que Warlikowski ne raconte pas l’histoire de Coetzee et d’ E Costello mais que cette dernière fait aussi partie de son univers, elle mène donc deux combats : l’image de l’autrice imaginaire de C … devient l’autrice imaginaire de W … O tente de se rassurer c’est bien elle que l’on voit vieillir, provoquer , se contredire comme si fiction et réalité se disputaient une identité. Qui prononce en conférence ces communications sur le sort réservé aux animaux, qui prend à partie un écrivain célèbre ? Dans tous ces aller-retours, quelque chose ne fonctionne pas : ni fantôme, ni personne à part entière, coachée ou non par l’auteur, elle semble un esprit malin qui s’amuse à perturber notre perception des choses, à empêcher qu’on puisse l’investir comme personnage, tuant par trop d’artifices la théâtralité. Pas de zone de confort pour le spectateur chez Warlikowski ,soit, un malaise diffusé par une atmosphère et une parole gangrénées met à mal la devise du metteur en scène :« avance, regarde, réfléchis », je ne peux plus avancer, je regarde et je perds le sens et le plaisir, alors je m’en vais.

 

Anthocyane, texte et m.e.s. Franck Dirles

— Par Dominique Daeschler —

Un ovni à Avignon ? Une pièce de théâtre, présentée dans le jardin d’un musée, souhaite nous apprendre à devenir « gouleyants » à l’instar d’un des deux personnages. Ici, à travers moult références littéraires  – Cyrano de Bergerac, les fables de La Fontaine sont pastichées à souhait – on célèbre le vin, plaisir de bouche et de dégustation, plaisir du partage . Deux personnages antagonistes nous convient à la découverte d’un vocabulaire inventif. Les mots vont macérer, avec un peu de tanin dans les pieds ! On va voyager dans des terroirs spécifiques et entrer en poésie : la part des anges, une couleur tuilée…

Rondement menée, cette joute oratoire entre deux personnages que tout sépare , l’un psychorigide, l’autre très « carpe diem » cible des crus particuliers. Les personnages gagneraient cependant à plus de souplesse, à « s’aérer » en somme.