Le Groupe Bernard Hayot (GBH) s’est investi dans la conservation et la valorisation du patrimoine architectural de la Martinique dès le milieu des années 80. La Fondation Clément est née au fil des actions de mécénat culturel et des actions de patrimonialisation, initiées au sein de l’habitation du même nom. La Fondation Clément en mettant le secteur marchand au service du patrimoine architectural et culturel de la Martinique joue sur le plan local, un rôle novateur de conservation des richesses historiques et artistiques de l’île. Ses actions se caractérisent par la volonté de mise en valeur des typicités culturelles de la Martinique. A l’occasion des dernières journées du patrimoine, nous avions rencontré Florent Plasse en charge de la gestion du patrimoine, de la conservation des collections documentaires et d’œuvres d’art et de la coordination des travaux de restauration des bâtiments patrimoniaux de GBH, pour la Fondation Clément.
Interview de Florent Plasse par Nathalie Laulé
Antilla : Que signifie la notion de patrimoine ?
Florent Plasse : Le patrimoine est l’ensemble des biens matériels et immatériels porteurs d’une valeur culturelle qu’une société choisit de conserver et de transmettre aux générations futures.
A : Comment le Groupe Bernard Hayot s’est-il engagé dans la démarche patrimoniale que porte la Fondation Clément, quels étaient les objectifs?
FP: En 1986, Bernard Hayot achète le domaine de l’Acajou, à la famille Clément avec l’objectif de relancer l’entreprise et la marque de rhum à une époque où la filière de la canne est en pleine restructuration et ou l’activité industrielle de l’habitation est devenue obsolète. Dans les actifs de cette entreprise, il y a la maison ancienne et en mauvais état, mais elle fait partie de son histoire. Et pour soutenir le projet industriel, on va utiliser l’histoire de l’entreprise comme une valeur positive. La famille Clément a créée un rhum prestigieux, son histoire se poursuit dans le même lieu. Nous sommes à cette époque là, sur le plan national, dans une période propice, Jack Lang met en œuvre une politique de l’Etat favorable au patrimoine avec beaucoup de moyens. En Martinique, les historiennes Danielle Bégot et Mireille Mousnier créaient en 1985, au sein de l’université, un groupe de recherche sur le patrimoine industriel de la Martinique, l’histoire du sucre et de la société d’habitation. Ces recherches seront financées par la Région à l’époque de Camille Darsières. En fait, il y a une convergence de l’intérêt pour le patrimoine : la recherche savante, l’université ; l’Etat ; le privé qui n’a pas forcément la connaissance savante ni même la légitimité de l’Etat mais qui s’intéresse au patrimoine et voit sa perte comme une chose négative. C’est Eric de Lucy, alors directeur de GBH, qui a été le concepteur et le pilote de ce projet qui intègre le patrimoine dans le projet industriel, et valorise ainsi l’ensemble. Cependant, la démarche patrimoniale va au-delà, car, Bernard Hayot considère qu’il n’y a pas de développement économique sans développement culturel, on retrouve ces valeurs dans toute sa démarche. Par exemple, il retient le terme d’Habitation Clément (1) plutôt que celui du Domaine de l’Acajou, donné par Charles Clément, malgré sa connotation historique et aussi malgré le fait que ce terme« d’habitation » n’est pas connu à l’extérieur de la Martinique et donc sur le plan marketing, est inconnu du public touristique. C’était une façon de valoriser l’histoire de ce patrimoine. C’était audacieux. Bernard Hayot s’engage dans une démarche d’authenticité et d’hommage au terroir et au patrimoine. Il singularise la Martinique en mettant en avant la société d’habitation, il donne un sens culturel à ce mot, s’attache à faire connaître son sens, c’est une patrimonialisation du terme. A ce moment là, sa démarche bénéficie du succès des travaux de Jacques Petitjean-Roget sur la société d’habitation à la Martinique, auprès du milieu universitaire. Le mot habitation devient alors un concept historique. C’est aussi le mouvement de la créolité avec Chamoiseau et Confiant qui créolise le mot, il y a, à ce moment là, partage et appropriation de ce mot par différentes populations.
A : Quelles ont été les étapes et les chantiers de la Fondation ?
FP : C’est en 2005, à la suite de la loi Aillagon sur le mécénat d’entreprise, que l’actuelle Fondation Clément est créée mais elle est héritière d’une action de mécénat culturel menée depuis 1986 sous une forme associative. Depuis cette époque, Clément est liée aux actions patrimoniales pour la Martinique.
Au départ pour l’habitation Clément, la restauration de la maison a commencé de façon empirique puis, en 1987, il y a eu la volonté de la protéger et de la faire classer, ce qui signifiait une reconnaissance de cette démarche patrimoniale de la part de l’Etat. Le lieu était déjà ouvert au public. En 1991, il y a un évènement important pour lequel on va accélérer les travaux de rénovation et mettre en valeur le lieu, le sommet Bush Mitterand. La maison sera inscrite à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques en décembre 1991, par arrêté préfectoral et classée en 1996, par arrêté ministériel. A partir de là, la protection par l’Etat va entraîner plus de rigueur dans la réhabilitation. Le lieu est mis en valeur et acquiert une grande notoriété, il y a de plus en plus de public. L’habitation Clément est un projet équilibré entre l’activité rhumière, touristique et culturelle de la Fondation. Son activité économique, protège et valorise le patrimoine. Nous recevons cent mille personnes par an, les visiteurs viennent voir une distillerie, une maison d’habitation, une exposition. En 2000, GBH acquiert l’habitation Pécoul. C’est un ensemble très cohérent qui porte les traces de l’évolution technique liée à l’histoire du sucre. Il y a eu une démarche d’embellissement voulue par la famille Pécoul. Dans les des années 70, c’est la fin de l’économie sucrière, le propriétaire ressent la pression foncière, ce patrimoine revient cher à l’entretien, il engage une démarche de protection qui aboutira en1981. C’est d’ailleurs le premier bâtiment privé classé en Martinique, après la Pagerie (2). On protège souvent le patrimoine quand il commence à disparaître. Lorsque que GBH l’achète c’est un très beau site industriel encore en fonctionnement avec cinquante salariés, protégé mais qui a besoin de restauration et avec un patrimoine bâti démesuré par rapport aux capacités de l’entreprise Pécoul. GBH qui a la capacité d’assumer ce patrimoine devient propriétaire. Les travaux de rénovation seront coordonnés par la Fondation qui apporte l’ingénierie, le savoir-faire et la communication, tandis que le financement est apporté par le propriétaire, l’entreprise Pécoul.
Puis, il y aura ensuite le rachat de l’habitation Sucrerie aux Anses d’Arlet qui est une habitation historiquement importante pour Bernard Hayot puisque que c’est à partir de ce lieu que les affaires de sa famille se développent à la fin du XIXème siècle. L’habitation a été morcelée, la maison est en péril mais le site est exceptionnel, l’architecture très spécifique et cette acquisition a du sens dans le cadre du projet culturel de la Fondation Clément.
Avec Pécoul et la Sucrerie, nous sommes dans une démarche patrimoniale différente de celle de Clément. Il s’agit d’entretenir ce patrimoine bâti, sa valeur immobilière et des valeurs culturelles non marchandes. Ces lieux ne sont ouverts au public que pendant les journées du patrimoine.
Pour la distillerie JM, rachetée en 2002, nous sommes dans une démarche de tourisme industriel. Ce patrimoine industriel est porteur de valeur et d’identité. Là aussi, il y a un équilibre entre le plan économique et le patrimoine, le site est ouvert au public parce qu’il est porté par un projet économique.
Enfin, dans le même temps, Bernard Hayot qui collectait déjà des archives d’entreprises, acquiert à partir de 2000, des livres anciens provenant de bibliothèques privées et un fond documentaire important est constitué.
La dernière vocation patrimoniale de la Fondation est l’édition d’ouvrages sur le patrimoine bâti.
A : Quelle mission porte la Fondation dans la gestion de tout ce patrimoine ?
FP : Elle intervient dans les programmes de restauration et d’entretien de l’ensemble du patrimoine bâti en termes d’ingénierie et de pilotage, elle donne les tendances. Tous les financements sont pris en charge par les entreprises de GBH à qui appartiennent les sites. Il y a eu la restauration de Pécoul commencée en 2009, JM a été refait voici deux ans, la Sucrerie a été restaurée entre 2006 et 2008, et la dernière grosse campagne d’entretien de Clément a dix ans.
Propos recueillis par Nathalie Laulé
(1) Il est intéressant de mettre en parallèle les choix des dénominations des démarches de patrimonialisation dans le contexte d’un développement économique comme la Plantation Leyritz qui fait référence à la société de plantation américaine, le Manoir de Beauregard, de connotation anglaise ou encore le Château Dubuc.
(2) Dans les années 50, la maison de la Pagerie est « sauvée » par le docteur Rose Rosette, passionné par Joséphine de Beauharnais et devient un musée privé. C’est la première habitation à bénéficier d’un intérêt patrimonial, elle sera protégée en 1979, en tant que lieu de mémoire.
Article paru dans le numéro 1700 d’Antilla
Qu’est-ce qu’une fondation
Le terme de fondation est défini par l’article 18 de la loi du 23 juillet 1987 : « Une fondation désigne l’acte par lequel une ou plusieurs personnes physiques ou morales décident l’affectation irrévocable de biens, droits ou ressources à la réalisation d’une œuvre d’intérêt général et à but non lucratif. » Une fondation a pour objet la réalisation d’un intérêt général à but non lucratif. Elle est créée pour exécuter une œuvre au moyen des biens qui lui sont affectés. La création d’une fondation n’a pas pour but de servir des intérêts privés. La notion d’intérêt général est définie par l’article 200 1. b) du Code général des impôts. Pour qu’il y ait intérêt général, il faut que l’œuvre ait un caractère « philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel, ou concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique, à la défense de l’environnement naturel ou à la diffusion de la culture, de la langue et des connaissances scientifiques française » Une donation à une fondation reconnue d’utilité publique donne droit à une réduction d’impôt sur le revenu pour 66 % des sommes versées, dans la limite de 20 % du revenu annuel du donateur (article 200 du Code général des impôts) [4]. La fondation se distingue de l’association par le fait qu’elle ne résulte pas du concours de volonté de plusieurs personnes pour œuvrer ensemble, mais de l’engagement financier et irrévocable des créateurs de la fondation, qu’il s’agisse de particuliers ou d’entreprises. Une fondation, c’est avant tout de l’argent privé mis à disposition d’une cause publique. (source wikipédia) |