— Par Gérard Le Puill —
Yannick Jadot, plutôt discret ces derniers mois, était hier midi [05/01/20] l’invité de BFMTV. Louvoyant à propos de la réforme des retraites, il a en revanche sorti de son chapeau melon cette phrase stupéfiante en direction des agriculteurs : « quand nous proposons de sortir des pesticides, nous installons 200 000 paysans dans notre pays ». Député européen depuis 2009, Jadot ne semble toujours pas savoir comment fonctionne la Politique agricole commune (PAC) à l’entame de son troisième mandat.
Peu présent dans les médias audiovisuels depuis des mois, Yannick Jadot répondait aux questions de trois journalistes le dimanche 5 janvier à midi sur BFMTV. Appelé à donner son avis sur le projet de réforme des systèmes de retraite, il a commencé par déclarer : « Quand on voit ce qui se passe en Australie et le chaos climatique en cours, je me dis que la retraite ne sera plus le sujet majeur ». Il reste à voir si le propos sera de nature à satisfaire les hommes et les femmes en grève contre une réforme qui, en individualisant les droits à pension à l’extrême, ne donnera que des retraites de misère aux travailleurs pauvres et autres précaires dont le nombre ne cesse de croître dans notre pays.
Mais c’est une autre phrase prononcée par Yannick Jadot qu’il convient de mettre en exergue en regrettant que ses interlocuteurs ne lui aient pas demandé d’être plus précis sur le sujet. « Quand nous proposons de sortir des pesticides, nous installons 200 000 paysans dans notre pays », a déclaré cet homme qui siège sans interruption au Parlement européen depuis 2009 et qui vient d’être réélu l’an dernier pour un troisième mandat.
Il n’existe aucun tarif douanier entre les pays membres de l’Union européenne
Au Parlement européen on débat régulièrement de la PAC. Quand on est élu dans cette instance, mieux vaut savoir, qu’on l’approuve ou non, que l’Europe est une zone de libre-échange promouvant la libre circulation des biens et des personnes. Il n’existe aucun tarif douanier entre les pays membres de l’Union. Dans ce cadre, la France peut « sortir des pesticides », comme l’a proposé Yannick Jadot. Mais, en étant seule à le faire, elle ne pourrait pas pour autant interdire aux autres pays membres de l’Union de nous exporter des céréales et des fruits et légumes traités aux pesticides dès lors qu’il y aurait de la demande sur le marché français. Et on peut faire confiance à la grande distribution pour faire jouer cette concurrence afin d’avoir les prix les plus bas. Il en irait de même pour les importations de produits laitiers et autres viandes issues d’animaux qui auraient mangé des fourrages traités aux pesticides dans les autres pays de l’Union ; mais aussi dans les pays tiers avec lesquels l’Europe a signé des accords de libre-échange. Parallèlement, notre agriculture aurait de moindres rendements sur le territoire national et donc des coûts de production plus élevés que tous ses concurrents européens et ceux des pays tiers, du Canada à l’Australie, en passant par les États Unis et le Mercosur.
Convertir son exploitation en bio passe par une prise de risques
En donnant ce chiffre de 200 000 installations, Yannick Jadot présupposait probablement la conversion de 100 % des fermes françaises en agriculture biologique. Cette dernière occupe actuellement 7,5 % de la superficie agricole du pays, ce qui correspond à 14 % des emplois agricoles. Mais la conversion à l’agriculture biologique se fait ferme par ferme, sur décision individuelle de chaque exploitant. Se convertir au bio c’est apprendre à exercer son métier d’une autre manière. Cela passe par une prise de risques et, de ce fait, beaucoup de paysans n’ont pas envie de sauter le pas. En bio, les coûts de production sont nettement plus élevés et la production bio doit être vendue nettement plus chère que la production conventionnelle pour dégager un revenu. Mais tous les consommateurs ne vont pas acheter du bio du jour au lendemain. Dès lors, pour peu que l’offre en volumes dépasse la demande, les prix seront trop bas pour couvrir les coûts de production. Voilà pourquoi les conversions en agriculture biologique ne peuvent être que lentes et progressives, car cela suppose une évolution parallèle de la demande et de l’offre. Ce qui n’est jamais gagné d’avance.
En France, d’une façon plus générale, les prix des céréales, des viandes et des fruits et légumes ne sont guère différents de ceux des autres pays membres de l’Union européenne en agriculture biologique comme en agriculture conventionnelle, puisque nous sommes dans un marché unique. Dans l’Europe, telle qu’elle fonctionne sur fond de dumping social, fiscal et environnemental, vouloir imposer aux paysans français des normes environnementales beaucoup plus drastiques que celles supportées par les agriculteurs des autres pays membres de l’Union ne peut aboutir qu’à une baisse du revenu paysan dans l’Hexagone via cette accentuation des distorsions de concurrence. Face à l’Europe telle quelle fonctionne aujourd’hui, une France qui mettrait fin aux pesticides de manière unilatérale prendrait le risque de passer de 450 000 exploitations agricoles à 250 000 en peu de temps, avec une balance commerciale en déficit alors qu’elle demeure encore excédentaire, grâce notamment aux vins et spiritueux. Le résultat serait à l’inverse de la promesse que fait Yannick Jadot d’installer 200 000 paysans en France.
Le test de l’arrêt du chauffage hivernal des serres bio en France
Abordons maintenant un autre sujet qui ne fut pas évoqué lors du passage de Yannick-Jadot, hier [05/01/20] sur BFMTV.
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