A Madiana
— Janine Bailly —
M’intéressant d’assez près au problème de la surdité, ayant entendu et vu diverses présentations, souvent fort dithyrambiques, dans des émissions dites populaires, ayant lu ici-même la critique positive signée Roland Sabra, et d’autres négatives dans divers organes de presse, j’attendais avec impatience de pouvoir « juger sur pièce » le film d’Éric Lartigau et Victoria Bedos. À ma grande surprise, il était déjà arrivé sur les écrans de Madiana, et je m’y suis précipitée ! Et je n’ai boudé ni ma joie ni mes larmes !
Il se trouve que je venais de lire l’ouvrage autobiographique de Véronique Poulain, inspiratrice et conseillère du film, elle-même enfant entendante de parents sourds, et qui fait une brève apparition sous les traits de cette cliente du marché, stupéfaite de n’obtenir, comme réponse à sa demande, que le sourire de Gigi (Karin Viard, la mère). La réplique de Paula (Louane Emera, la fille) donne alors en partie le ton du film : « Elle sourit, je parle, lui il encaisse. C’est la division du travail » (« lui », c’est le frère). Pas de victimisation, pas de plainte donc, pas de « mélo-dramatisation », mais de la tendresse et de l’humour, mais une situation assumée , mais une fierté d’être ce que l’on est : « Etre sourd n’est pas un handicap mais une identité », déclarera Rodolphe Bélier (le père, François Damien). Bien sûr, la gêne prend parfois ses quartiers, en raison non d’une quelconque honte à être différent, mais en raison du regard des autres, ou du respect qui leur est dû : Paula, à la porte de son lycée, demande plus de discrétion à son père dans l’utilisation du klaxon ou de la sono mise à fond dans la voiture ; Paula recommande la même retenue à sa famille lorsqu’elle reçoit l’ami avec lequel elle doit répéter un duo pour le spectacle de la chorale. Il faut dire que Gigi est particulièrement démonstrative et décomplexée !
Si le jeu de Louane Emera, transfuge de l’émission de télé-crochet The Voice, me semble au début du film un peu contraint, comme sa diction un peu monocorde , elle s’affirme, gagne en aisance, monte en beauté et en puissance, si fragile et si forte à la fois, tout au long de l’histoire. Et que dire de ces deux scènes, sinon qu’elles portent une légitime émotion à son paroxysme : dans la première, Paula a interprété son duo (qu’ils sont attendrissants, Paula et Gabriel, entonnant face à face le « Je vais t’aimer » de Michel Sardou) ; Paula s’isole dans la nuit, mais son père la rejoint, lui demande de chanter à nouveau pour qu’en posant la main sur sa gorge il sente les vibrations liées aux sons qu’il ne perçoit pas. Dans la seconde, Paula, auditionnée par le jury de la maîtrise de Radio-France, a choisi d’interpréter « Je vole », du même Michel Sardou. Mais alors que déjà sa voix sur le texte nous va droit au coeur, (« Mes chers parents je pars, je vous aime mais je pars… ») elle se met tout naturellement, sans qu’on l’ait pressenti, et le corps légèrement penché vers le devant de la scène, la voix comme projetée vers ses parents et son frère, présents dans l’auditorium, elle se met à signer pour eux la chanson, en langage des sourds, tout en continuant à chanter. J’aurais aimé que le film s’arrête sur ce merveilleux témoignage d’amour, aussi ne vous en raconterai-je pas la suite !
Et pour répondre à ceux qui parlent avec condescendance de « caricature », je me permets de citer Véronique Poulain : « On n’imagine pas à quel point les sourds sont bruyants (comme on le voit ou plutôt comme on l’entend dans la scène du petit déjeuner, qui fait l’ouverture cocasse du film)… Ça signe de partout, des mains qui gesticulent, des bras qui partent dans tous les sens… »
Enfin, le film porte pour moi une belle utopie : Rodolphe Bélier prend pour slogan sur les affiches de sa campagne municipale « Je vous entends »… dans tous les sens du verbe « entendre » ?
Fort-de-France, le 21/01/2015
Janione Bailly
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