— Par Yves-Léopold Monthieux —
C’était il y a une dizaine d’années. Des amis d’un parti de droite se plaignaient de l’absence de leurs élus aux réunions. La droite comptait encore quelques conseillers généraux et régionaux ainsi que 7 ou 8 maires, parfois les mêmes. C’est alors que, par provocation, je leur fis la suggestion de faire signer dorénavant les convocations par Serge Letchimy ou Alfred Marie-Jeanne. La proposition eut son petit effet, chacun trouvant que la réalité donnait du sens à ce mot d’humour. En effet, certains se délectent de la compagnie des présidents et proclament plus que de besoin leur « amitié » à l’égard des dirigeants du camp d’en face. De beaux gestes qui leur sont rarement adressés en retour. On entend souvent à droite du « mon ami Marie-Jeanne » ou « mon ami Letchimy » de la part de leaders de droite qui paraissent avoir partout des amis dignes de leur rang, sauf dans leur propre camp.
La fonction d’appoint de la minorité à un camp est de règle en démocratie
Il s’ensuit des situations irresponsables dont la pire s’est déroulée lors de l’élection de la dernière présidence de feu le conseil général, en 2011. Avec 6 ou 7 sièges, aucun des 2 candidats de gauche n’étant en mesure de l’emporter seul, la droite détenait le sort de la majorité et la possibilité de négocier son choix. C’était la seule (et la dernière) façon d’avoir une existence politique au sein du conseil. Encore eût-il fallu assortir son soutien de quelques exigences programmatiques. Cette fonction d’appoint à un camp, qui permet de dégager une majorité, est de règle en démocratie. En Allemagne, notamment, elle permet aux partis intermédiaires de jouer un rôle politique bien plus important que ce qu’ils représentent en nombre d’électeurs. C’est ainsi que le Parti libéral a longtemps occupé le poste de ministre des affaires étrangères et que les Verts ont su imprimer leur marque outre Rhin. Sauf que la droite locale avait préféré se liquéfier en se partageant entre les deux camps opposés. Son inexistence politique allait être poussée à la caricature lorsque ceux qui se sont retrouvés sur la liste des gagnants ont suivi fidèlement l’ordre de mise à mort administrative et judiciaire de l’ancienne directrice du conseil général. Sylvia Saïtsoothane s’était honorée en se refusant à ce funeste dessein.
La droite martiniquaise est une droite « de gauche ».
Je ne reviendrai pas sur cette opinion selon laquelle, si on la considère à l’aune des critères en vigueur en métropole, la droite martiniquaise serait une droite « de gauche » et qu’elle serait dans le quotidien plus proche de la gauche locale que de la droite nationale. A sa création en 1958, avec le retour de Charles de Gaulle, la droite martiniquaise n’était-elle pas composée d’anciens cadres de la SFIO et même du parti communiste ? C’est une réalité, l’unique élément qui la distingue de la gauche autonomiste et indépendantiste n’est pas son rapport au capitalisme ou à la sécurité, c’est précisément son attachement à la France. Or, désormais, pour paraître politiquement sexy, elle évite d’être dans la proclamation de ce lien en même temps qu’elle se trouve victime de la pratique de la gauche qui lui a piqué sa politique assimilationniste. La droite se trouve donc comme hypnotisée par une gauche qui, par des gestes et des symboles, se veut de rupture, mais qui n’en mord pas moins avec voracité dans la pomme assimilationniste. Cette pratique paradoxale du pouvoir local a donné à l’électeur le sentiment qu’il n’y a pas de lien de cause à effet entre les revendications autonomistes ou indépendantistes et l’élection des dirigeants qui les portent. Voter pour les hommes ce ne serait pas voter pour leurs idées, façon de donner ses lettres de noblesse au mensonge en politique. En mode de dérive schizophrénique, il est difficile de faire pire.
La FIFA, une aire de souveraineté qui en cacherait d’autres.
Cependant l’élément d’hypnose décisif qui frappe la droite résulte de la substitution du discours primaire de rupture institutionnelle par la revendication identitaire. Une évolution en trompe l’œil s’il est vrai que l’identité martiniquaise s’affiche en mode de rupture : une « identité contre ». Elle charrie des gestes et de comportements qui secondarisent le « discours contre » des autonomistes et indépendantistes. Evidemment, la droite « de gauche » ne pouvait pas se désintéresser de cette quête identitaire, sauf qu’en l’absence de sa propre appréciation, elle est conduite nolens volens au même repli identitaire. Qu’est-ce la revendication d’identité contre ou d’identité rupture si ce n’est la nouvelle expression de la revendication de rupture institutionnelle ?
Le drapeau français ou l’hymne national font l’objet de procès en illégitimité à l’occasion des manifestations sportives auxquelles la Martinique participe dans la Caraïbe. La classe politique demeure sans réaction. Par militantisme, à gauche, et, à droite, par pusillanimité. Par crainte, à gauche, d’être sanctionnée par l’électeur, à droite, d’être ringardisée. L’ambition de rejoindre la FIFA n’a pas pour seul objet l’intérêt financier évoqué par les dirigeants de la ligue de foot-ball. En effet, il ne serait pas très glorieux pour la fierté martiniquaise de succomber aux seuls arguments vénaux et clientélistes des dirigeants de la fédération mondiale. Cette ouverture souverainiste est à ce point tue par les élus qu’on a peine à ne pas y voir une habileté politique. En avançant un pion sportif qui, sous l’égide du gouvernement mondial du sport-roi, se trouverait propulsé à l’égal de la fédération française, Matinino accéderait à une aire de souveraineté qui pourrait en appeler d’autres. L’Etat l’a compris et l’exprime à travers la position du président de la FFF et de la ministre des sports.
Et voilà en effet que c’est la ministre d’origine guadeloupéenne qui, dans sa fausse naïveté politique, prononce le discours que la droite martiniquaise n’ose pas tenir, mais que la gauche évite de contester franchement : « un pays, un drapeau, une hymne ». On peut comprendre que les militants de la droite martiniquaise eussent souhaité entendre ces mots de la bouche de leurs dirigeants, lesquels paraissent hypnotisés par la gauche et son discours identitaire.
Fort-de-France, le 02 août 2017
Yves-Léopold Monthieux