— Par Roland Tell —
La Martinique est née, comme on sait, de cette vieille histoire d’esclavage, où le nègre n’était pas réputé blond comme le colon. En son état d’île, entourée de mers, elle paraît alors, tel un entonnoir naturel, où sont venus aboutir tous les versants géographiques d’Europe, d’Afrique, d’Asie, pour faire ici creuset de civilisation, et aujourd’hui dauphine de nation. C’est là pour ainsi dire sa différenciation, tout ce qui est sève pour l’avenir, tout ce qui est vie, tout ce qui est âme dans une communauté, où la conscience de soi révèle des possibilités inouïes de précieuses découvertes dans son environnement caribéen et américain.
La Martinique politique entre ainsi dans une croissance perpétuelle, depuis que, ces dernières années, elle est devenue consciente d’elle-même, à condition que sa politique, vivifiée, jour après jour, dans un travail créateur d’évolution, s’organise, au mieux, pour convertir la prise de conscience de sa Collectivité Territoriale, en une espèce supérieure d’émancipation. C’est la marche immémoriale vers son destin de peuple, échoué ici par l’histoire, au fil des eaux de mers, vers le milieu de la Caraïbe et des Amériques.
Pour qui sait le déchiffrer, son devenir est une algèbre, et des langues à partager ! L’histoire à venir s’écrit de plus en plus dans la coopération avec la Caraïbe et les Amériques, et il convient d’y aller, avec un esprit de désintéressement, afin d’accroître les ressources d’existence. Car la Martinique tout entière – la Martinique ultra-marine, est faite de différenciation au sein de la nation française, où, certes, elle a vécu le meilleur de son destin passé, et où elle continue d’avoir grande place dans le répertoire des privilèges, pour le développement des Martiniquais.
Toutefois, si présente et fidèle que semble la France d’à présent, il importe, en même temps, de refaire la Martinique d’aujourd’hui, de la reconstruire dans l’optique de sa différenciation, donc de regarder l’avenir à travers les problèmes existentiels des jeunes Martiniquais, de répandre, au milieu d’eux, des réalités de vie, immensément accrues, ici et maintenant, dans l’environnement immédiat, pour le renouvellement de la politique économique, sociale, éducative, car tout ce qui a de l’avenir est pour l’avenir !
A cet égard, prenons, comme exemples, tous les problèmes créés par la récente réforme du baccalauréat, les difficultés rencontrées par nos élèves de Terminales, pour s’inscrire dans des établissements d’enseignement supérieur. Constatons le sort, qui leur fut réservé jusqu’à fin Mars : élèves de Terminales, cherchant, comme des hannetons, où aller, où s’engager, à partir d’écrits, dont ils ne sont sûrs de rien ! Il semble bien qu’une réforme fondamentale s’impose ici, aux Antilles-Guyane, compte tenu de l’autonomie des établissements d’enseignement supérieur. En effet, le système éducatif français, ne souhaitant pas mettre en place l’indispensable institution de deux degrés, et de deux types d’établissement d’enseignement supérieur, comme dans les pays anglo-saxons, pourquoi ne pas chercher à organiser, dans les Antilles-Guyane, par décentralisation, un cycle préparatoire « baccalauréat » pour les Terminales de nos lycées ? Certes, retirer les classes de Terminales de l’enseignement secondaire ne manquera pas d’avoir un grand retentissement, même en France. Mais c’est nécessaire pour nos Collectivités ultra-marines, si l’on entend garder sur place nos futures élites dans la médecine, l’administration, l’ingénierie technique, économique, financière, politique, culturelle. Dans le principe, rien n’interdit donc à notre Université de regrouper, de reprendre, l’enseignement correspondant aux Terminales. Car, à l’heure actuelle, rien n’interdit non plus réglementairement la différenciation des services d’enseignement, certes renforcée et cimentée par une réglementation d’ordre financier. Une telle expérience pédagogique reste possible, faisable, à titre de recherche – fonction universitaire par excellence !
Le système éducatif français est un système cloisonné en sous-systèmes. Il s’agit, à 7000 kms de la France, de passer à un système véritablement plus organisé. Ce passage est nécessaire, si nous souhaitons garder nos jeunes étudiants aux Antilles-Guyane. Il s’agit, en l’occurrence, de régulations internes, permettant au système de changer sans se détruire, ou de réaliser des adaptations nécessaires, par rapport à l’évolution de la société globale antillaise. Pourquoi ne pas chercher à ajuster sur place les éléments constitutifs du système éducatif ? L’ensemble ainsi proposé ne manquera pas d’avoir une portée considérable sur le maintien de nos élites dans les Antilles-Guyane.
ROLAND TELL